Jean Rédélé

Je sais pas si ce nom vous dira quelque chose. Et c’est bien mal­heu­reux, parce que vous avez enten­du par­ler de Mar­cel Das­sault, de Louis Renault ou de la dynas­tie Miche­lin, tan­dis que le peu connu Jean Rédé­lé a fait lar­ge­ment plus rêver les jeunes de son temps que tous ceux-là réunis.

Jean Rédé­lé est mort hier. Il aura bien vécu : quatre-vingt-cinq ans de passion.

Jean Rédé­lé, gros­so modo, avait deux pas­sions : les voi­tures de sport et le ral­lye. Conces­sion­naire Renault à Dieppe, il avait com­men­cé à pré­pa­rer des 4CV au début des années 50, avant de construire un tout nou­veau modèle à par­tir de la même plate-forme : la A106, qui fut la pre­mière à por­ter le nom de Alpine — “parce que ça me rap­pelle le plai­sir de conduire sur des petites routes de mon­tagne”. Il y eut ensuite la A108, qui héri­tait de la plate-forme de la Dau­phine, puis la mythique A110, construite à par­tir de la R8 mais tel­le­ment plus spéciale !

Alpine n’a jamais été un grand construc­teur. Mais sor­tez aujourd’­hui dans la rue avec une A110 et comp­tez les regards : vous n’at­ti­re­rez pas plus l’at­ten­tion avec la der­nière Fer­ra­ri. Cette petite voi­ture toute en ron­deurs, minus­cule même à l’é­poque, était tout sim­ple­ment superbe.

Et méca­ni­que­ment, la A110 fut une sacrée réus­site : très légère (le châs­sis était en fait une simple poutre cylin­drique, sur laquelle se fixaient le sup­port moteur et les bâtis de sus­pen­sions), elle réus­sit régu­liè­re­ment à damer le pion aux Porsche 911 mal­gré un han­di­cap de puis­sance de par­fois plus de 50 %. Un cer­tain Colin Chap­man, avec sa marque Lotus, ne fai­sait pas dif­fé­rem­ment pour battre Fer­ra­ri en For­mule 1.

L’Al­pine aimait les routes tor­dues, elle aimait la neige (que détes­taient les 911), au point de réus­sir deux tri­plés au Monte-Car­lo en 71 et 73. Et en 73, Alpine réus­sit un exploit inédit : dans les congères accu­mu­lées par la Burle du coté de Bur­zet, une cen­taine de concur­rents sont mis hors course pour avoir dépas­sé la demi-heure de retard. Ceux qui sont pas­sés arrivent in extre­mis et ramassent des péna­li­tés à la pelle, y com­pris Dar­niche. Et dans ce bazard, une demi-dou­zaine de voi­tures pointent à l’heure : des 1800 offi­cielles de l’é­quipe Alpine.
En 73, l’ex­ploit au Monte-Car­lo fut dou­blé d’une vic­toire inat­ten­due au ral­lye du Maroc, dont le revê­te­ment était à prio­ri hos­tile aux fra­giles bom­bi­nettes diep­poises. Alpine est une petite écu­rie, com­pa­rée à Porsche ou à Lan­cia, et ses voi­tures sont peu puis­santes (envi­ron 170 che­vaux, contre plus de 220 pour une 911 RS), mais elles com­pensent en mania­bi­li­té ce qu’elles perdent en ligne droite.

Et sur­tout, Rédé­lé a su convaincre les meilleurs pilotes : cette année-là, au fil des ral­lyes, Andruet, Dar­niche, Thé­rier, Ragnot­ti, Nico­las et Anders­son courent pour lui, pro­fi­tant par­fois du sens stra­té­gique d’un navi­ga­teur du nom de Jean Todt. Et à la fin de l’an­née, la gloire est au ren­dez-vous : Alpine rem­porte le cham­pion­nat du monde des rallyes.

C’est hélas le chant du cygne : la A310, sor­tie peu avant, marque un virage : plus puis­sante, plus lourde, elle aban­donne la for­mule qui a mar­qué la nais­sance d’Al­pine : “tou­jours plus léger”. Renault rachète Alpine, en fait une vitrine du grand construc­teur et rêve un temps d’en faire un Fer­ra­ri fran­çais, avec des modèles comme la GT et la A610, luxueux, lourds, qui ne convain­cront per­sonne. Fina­le­ment, Renault lais­se­ra cre­ver la marque, faute de savoir qu’en faire : une marque de pas­sion­nés de ral­lyes, pour les pas­sion­nés de ral­lyes, ne rentre pas faci­le­ment dans le giron d’un construc­teur qui ne jure que par les circuits.

Aujourd’­hui, si vous vou­lez voir un bel hom­mage à Alpine, allez sur le Monte-Car­lo his­to­rique, mi-jan­vier, et regar­dez l’é­quipe Comas : des Alpine 1600 et 1800, des four­gon­nettes d’as­sis­tance, des R16 d’as­sis­tance rapide… Comme à l’époque.

Par contre, ne comp­tez pas trop sur les jour­naux français…