Laïcité positive”

Si vous êtes comme moi, devant l’ex­pres­sion “laïc­ité pos­i­tive” employée par notre prési­dent à nous qu’on a, vous avez dû vous creuser un peu la tête.

Je veux dire, la laïc­ité est pos­i­tive par essence. À moins de con­sid­ér­er la tolérance et la lib­erté d’opin­ion et de culte comme néga­tives, mais là, on sort car­ré­ment de ce que j’ac­cepte d’en­vis­ager d’un chef d’é­tat d’une démocratie.

La laïc­ité, qui se résume grosso modo à dire que les églis­es quelles qu’elles soient ne doivent pas impos­er leurs vues aux états, est la con­di­tion sine qua non de la lib­erté de culte. Si une reli­gion a son mot à dire dans la façon dont un état est gou­verné, on n’est pas en terre laïque ; si les gou­ver­nants déci­dent en-dehors de toute influ­ence religieuse, on y est.

Cepen­dant, Mon­sieur Sarkozy, le Prési­dent à nous qu’on a élu, con­sid­ère qu’il existe deux laïc­ités : une bonne et une mauvaise.

Donc, il y aurait un cas (ou plusieurs, je ne sais) où le fait que les reli­gions soient séparées de l’É­tat est négatif.

Per­son­nelle­ment, ça me paraît au-delà de l’ab­surde. J’ai donc cher­ché à com­pren­dre en lisant la dépêche de Reuters au-delà de la sim­ple envie de ger­ber que me don­nait cet état de ma réflex­ion, où son intro­duc­tion me menait.

J’ai donc cru com­pren­dre que la “laïc­ité pos­i­tive”, c’é­tait de dire : “nous avons besoin de la con­tri­bu­tion de l’Église comme de celle des autres courants religieux et spir­ituels pour éclair­er nos choix et con­stru­ire notre avenir”.

La “laïc­ité pos­i­tive”, c’est donc de dire que l’Église (avec une majus­cule comme ça, on par­le générale­ment de la reli­gion chré­ti­enne dans sa var­iété apos­tolique et romaine) et les autres courants religieux et spir­ituels doivent guider l’É­tat, ou tout au moins éclair­er ses choix.

Autrement dit, la laïc­ité nor­male, c’est (his­torique­ment) de dire : “main­tenant, il n’y aura plus une église à laque­lle on deman­dera son avis sur la marche de notre pays, on décidera nous-mêmes sans les religieux”. La laïc­ité pos­i­tive, meilleure que la nor­male, est de dire : “main­tenant, il n’y aura plus une église à laque­lle on deman­dera son avis sur la marche de notre pays, on leur deman­dera leur avis à toutes”.

J’en tire deux con­clu­sions, que je vais vous exprimer comme suit :

  • sépar­er les églis­es et l’É­tat, c’est une chose, mais mieux vaut réu­nir toutes les églis­es dans l’État ;
  • la “laïc­ité pos­i­tive” n’est pas une laïcité.

Je ne dis pas que cette nou­velle forme de “laïc­ité” est mau­vaise (quoique vous aurez com­pris que je le pense), mais ce n’est pas une laïc­ité. C’est juste une ques­tion de déf­i­ni­tion. Si un courant religieux quel­conque a un mot à dire à un moment ou à un autre dans la marche d’un état, qu’il s’agisse d’é­clair­er des choix ou de don­ner des ordres, cet état n’est pas laïque.

Main­tenant, il y a une autre chose qui me gêne, au-delà des aspects lin­guis­tiques, dans la con­cep­tion que Mon­sieur Sarkozy (notre Prési­dent qu’on aime) se fait des rela­tions entre l’É­tat et les religions.

Et ça se situe un peu ailleurs dans la même dépêche.

Un homme qui croit, c’est un homme qui espère et l’in­térêt de la République, c’est qu’il y ait beau­coup d’hommes et de femmes qui espèrent”, a‑t-il déclaré. Et aus­si : “La désaf­fec­tion pro­gres­sive des paroiss­es rurales, le désert spir­ituel des ban­lieues, la dis­pari­tion des patron­ages, la pénurie des prêtres n’ont pas ren­du les Français plus heureux.”

Ce que je vois ici, c’est que notre prési­dent que j’ai élu avec vous con­sid­ère que c’est à la reli­gion de faire espér­er le peu­ple et non à la République.

Je suis agnos­tique. Agnos­tique ten­dance athée, voyez. C’est-à-dire que je sais avec cer­ti­tude que Dieu, qu’il existe ou non, n’ap­pa­raît pas comme une évi­dence dans ma vie quo­ti­di­enne, et que je ne pense pas utile de la men­er en fonc­tion de son (in)existence éventuelle. Cela sig­ni­fie égale­ment que j’es­time avoir mieux à faire que de me creuser le chou pour décider s’il existe zéro, un ou plusieurs dieux. Au fond de moi, j’ai le sen­ti­ment qu’il n’y a pas de Dieu, mais je con­sid­ère que cela n’a aucune espèce d’importance.

En résumant ceci de manière un peu abrupte : je ne crois pas en Dieu, je n’af­firme pas son absence, et il ne gou­verne pas ma vie.

Pour­tant, j’e­spère, Mon­sieur Sarkozy. J’ai une sorte de foi, peut-être un peu naïve (beau­coup, diraient les his­to­riens), j’ai en tout cas un espoir : celui que l’hu­man­ité, via la démoc­ra­tie, la laïc­ité, la tolérance et tout le reste, fini­ra par s’u­ni­fi­er et avancer de concert.

Cette espérance, à l’heure actuelle, a deux noms : Union Européenne (et si j’ai voté con­tre votre pro­jet de pseu­do-Con­sti­tu­tion, c’est juste­ment parce que je jugeais ce texte indigne d’une union d’une telle enver­gure, d’un pro­jet d’une telle ambi­tion) et Organ­i­sa­tion des Nations Unies.

Les lin­guistes auront noté la répéti­tion du mot “union” dans ces deux idées. C’est bien ce mot-ci qui me pousse à espér­er : union des états, union des peu­ples, union des êtres pour créer quelque chose de plus impor­tant, de plus grand, de plus large. Bref, d’une cer­taine manière, je ne crois pas à une entité supérieure qui nous a créés et nous gou­verne, mais je veux espér­er que nous créions une forme d’en­tité supérieure. “Je crois que Dieu, c’est les hommes, mais qu’ils ne le savent pas”, comme dis­ait Jacques.

Or, vous voulez don­ner ce rôle, que j’at­tribue pri­or­i­taire­ment à la République, tant je ne crois pas que l’on puisse unir un peu­ple sans qu’il lui soit don­né la pos­si­bil­ité de le refuser, et à la Laïc­ité, tant je pense qu’on ne peut alli­er des êtres sans leur don­ner à tout moment cette forme suprême de lib­erté de penser, vous voulez, dis-je, don­ner ce rôle aux religions.

Lesquelles ont prou­vé, au fil des siè­cles, être sources de con­flit, de divi­sions et de rancœurs entre les hommes.

Lesquelles ont prou­vé, dans le même temps, être par­faite­ment com­pat­i­bles avec les dic­tatures (qu’elles ont sou­vent active­ment jus­ti­fiées, sou­venez-vous des monar­chies de droit divin), mais se sen­tir mal dans les démoc­ra­ties laïques.

Autrement dit, vous voulez remet­tre notre espoir entre les mains de ceux qui sont le con­traire même de mon espoir d’ag­nos­tique laïque.

On en est là. On a un Prési­dent qui promeut comme forme supérieure de laïc­ité la néga­tion de la laïc­ité, et qui présente comme prin­ci­pale source d’e­spoir l’éter­nelle cause de dés­espoir des tolérants, des utopistes et des rêveurs.

Mon­sieur Sarkozy, votre prési­dent à vous que vous avez élu sans moi, ne me représente pas. Il me con­sid­ère sans espoir, parce que sans reli­gion. Finale­ment, grâce lui soit ren­due : suite à son prêche, il est bien pos­si­ble que je perde effec­tive­ment espoir.

Source : cette dépêche de Reuters

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