Charonne, semaine 23

Trois films cette semaine.

Com­men­çons avec La vague, de Den­nis Gan­sel, un film décri­vant, en cinq jours, la nais­sance d’une dic­ta­ture au sein d’un lycée, à cause d’un prof vague­ment anar et peut-être un peu trop impli­qué dans l’i­dée de “tra­vaux pra­tiques”. Film essen­tiel aujourd’­hui, qui, plus sans doute que Fight club, s’in­ter­roge sur les racines du mal, et com­ment le bien col­lec­tif et l’in­di­vi­dua­li­té beuvent faci­le­ment s’ef­fa­cer sous une dose de cha­risme et un dis­cours bien rôdé. C’est pré­ci­sé­ment main­te­nant qu’il faut le voir, parce que, aus­si con que ça puisse paraître, je fais par­tie des gens qui voient quelques ana­lo­gies entre la situa­tion actuelle et la fin des années 20 et que ça me ferait vrai­ment chier de clai­ron­ner dans vingt ans : “je vous l’a­vais bien dit”.

Ensuite, The cha­ser, de Hong-Jin Na, qui confirme la bonne san­té du ciné­ma sud-coréen — ou, du moins, de ce qui en fran­chit les fron­tières et arrive sous nos lon­gi­tudes. C’est donc un très bon polar, avec des rebon­dis­se­ments bien menés, une enquête pal­pi­tante, une admi­nis­tra­tion qui met des bâtons dans les roues de tout le monde, qui ne se gêne pas pour égra­ti­gner au pas­sage socié­té et police coréennes (ras­su­rez-vous, ça marche aus­si avec les nôtres, vous serez pas dépay­sé), qui peut rap­pe­ler dans l’i­dée la vague de polars à la fran­çaise des années 70, avec des flics désa­bu­sés et des jus­ti­ciers soli­taires, et une bonne dose de cynisme chez tous les pro­ta­go­nistes — pen­sez à Der­nier domi­cile connu ou Le mar­gi­nal, par exemple.

Cepen­dant, les Coréens n’hé­sitent pas à faire du trash, contrai­re­ment à nos spé­cia­listes du film noir à la Fran­çaise. Ça donne des scènes d’ac­tion sur­vol­tées, des pour­suites à pied (tel­le­ment plus hale­tantes que les sur-uti­li­sées pour­suites en voi­ture), qui alternent gen­ti­ment avec l’en­quête et… les états d’âme du per­son­nage cen­tral, ancien flic, proxo, qui vient d’en­voyer une de ses putes chez un maniaque. In fine, un vrai bon­heur, non dépour­vu de dure­té toutefois.

Enfin, L’en­quête, de Tom Tyk­wer, film énor­mé­ment appré­cié par quelques cri­tiques fran­çais… dont je rejoins l’a­vis. Sur le fond, c’est un bon thril­ler, sym­pa, bien joué et bien mené ; sur la forme, une cri­tique acerbe et un brin cynique du fonc­tion­ne­ment du capi­ta­lisme ban­quier — “ils ne veulent pas contrô­ler la guerre, ils sont ban­quiers. Ils veulent contrô­ler la dette que crée­ra la guerre”.

Pour ce début de prin­temps, se faire une petite dose de cynisme en intra-ocu­laire, ça fait plaisir.

Sinon, tout à l’heure, je suis ren­tré chez moi par Nation, comme d’hab’, et j’y ai vu un stock de mani­fes­tants. Bon, y’a­vait moins d’u­ni­forme, mais sur le moment, ça m’a vrai­ment fait mal au cœur : un abru­ti beu­glait dans un micro des slo­gans faciles, mais l’ef­fet de meute — j’ai volon­tai­re­ment pas dit “vague”, mais c’est le mot qui me venait à l’es­prit — les fai­sait reprendre par… boah, on va dire 2 mil­lions de cré­tins, en fai­sant la moyenne des chiffres syn­di­caux et pré­fec­to­raux, tou­jours plus éloi­gnés… Un vrai exemple de foule décer­ve­lée, tota­le­ment dépour­vue du moindre recul, de la moindre dis­tance, de la moindre réflexion.

Bon, ces der­niers temps, j’a­vais un peu de mal avec les manifs — j’ai jamais aimé les trou­peaux, et mon anthro­po­pho­bie s’ar­range pas depuis que j’ha­bite une agglo­mé­ra­tion de 8 mil­lions d’ha­bi­tants. Mais là, c’est vrai­ment un paral­lèle très amu­sant que de voir en deux jours un film sur la nais­sance d’un fas­cisme, nais­sance qui com­mence par construire un groupe (les éty­mo­lo­gistes, mes amis, vous diront que fas­cii vient des “fais­ceaux de com­bat”, groupes mon­tés par Mus­so­li­ni, et Guy Sajer a très bien résu­mé ce sen­ti­ment dans son Sol­dat oublié), et une manif dans laquelle un groupe de syn­di­ca­listes dicte quoi pen­ser à un groupe de manifestants…

Bref, j’ai déga­gé fis­sa avant d’a­voir la gerbe devant ce trou­peau de mou­tons qui gueulent contre un meneur cynique parce que d’autres meneurs cyniques le leur ordonnent.