Chuis pas rat, je veux juste pas payer !

Alors voi­là, mes confrères de PC INpact ont fait un choix : ils passent au payant, au moins par­tiel­le­ment. En bref : ils vont vendre des abon­ne­ments à leur site, per­met­tant à ceux qui les achè­te­ront de se débar­ras­ser de la pub et de finan­cer l’in­dé­pen­dance de leurs jour­na­listes favo­ris (enfin, juste après ceux des Nums, cela va sans dire).

La toute pre­mière réac­tion à la brève pon­due à ce sujet par Vincent, notre rédac-chef véné­ré (non, je fais pas de lèche, mais comme c’est l’un de mes quatre lec­teurs, j’es­saie de gar­der de bonnes rela­tions avec) nous dit pour l’es­sen­tiel : pas ques­tion que Les Nums deviennent payants un jour, c’est pas une solu­tion.

Ah.

Okay.

Euh…

Résu­mons donc.

La pub sur un site web, c’est chiant. Heu­reu­se­ment, Adblock m’en débar­rasse pour pas un rond.

Le spon­so­ring des marques, bien sûr que c’est pas la solu­tion, je veux mes jour­na­listes indé­pen­dants, non mais !

Les com­pa­ra­teurs de prix, j’aime pas, y’a for­cé­ment anguille sous roche, vous êtes liés aux ventes…

L’a­bon­ne­ment, ça me coûte des ronds, pas question.

C’est quoi alors, la solu­tion ? Pour­quoi donc est-ce que nous, lec­teurs de sites web en géné­ral, refu­sons de payer sur le web pour un conte­nu pour lequel ça nous parais­sait évident de payer il y a dix ans, lors­qu’on se ruait chez notre mar­chand de jour­naux pour ache­ter SVM ?

Après tout, nous autres, jour­na­listes tech­niques, on fait tou­jours le même boulot.

En fait, y’a même des fois où ça devient plus com­pli­qué, quand cin­quante marques se lancent sur un mar­ché jadis ver­rouillé par quelques gros (tes­ter un appa­reil Gene­ral Elec­tric ou un télé­phone Acer est une expé­rience gri­sante), quand un fabri­cant inonde le mar­ché de modèles iden­tiques à un détail près (une dizaine de com­pacts entre 100 et 250 € chez Sony, par exemple), ou quand les modèles se suc­cèdent tous les mois là où ils chan­geaient tous les deux ans (Nikon a sor­ti 25 reflex numé­riques en dix ans, soit 4 de plus qu’en vingt ans de pro­duc­tions argen­tiques auto­fo­cus, dont huit en deux ans !).

Mais on essaie tou­jours de gagner notre vie hon­nê­te­ment en pro­po­sant des tests et en ten­tant d’é­vi­ter aux lec­teurs de se faire bara­ti­ner par un ven­deur et d’a­che­ter un truc inadap­té (à son cas par­ti­cu­lier sou­vent, à l’exis­tence par­fois : Dar­win tra­vaille aus­si dans ce domaine). On essaie d’in­for­mer, d’ex­pli­quer, de conseiller…

Bref, on fait tou­jours le bou­lot pour lequel il était nor­mal qu’on soit payés il y a vingt ans, et à peu près tout le monde estime nor­mal qu’on soit payés aujourd’hui.

Là où ça devient mar­rant, c’est que pour qu’on soit payés, les lec­teurs trou­vaient logique de payer y’a vingt ans, mais plus aujourd’hui.

Ils ont quoi dans le crane, bordel ?

En fin de compte, quel que soit le modèle éco­no­mique qu’on adopte, on a tort. On est cen­sés être payés, mais pas par la pub, pas par les com­pa­ra­teurs de prix, pas par les construc­teurs et pas par les lec­teurs. Quant à fonc­tion­na­ri­ser les jour­na­listes, j’en­tends bien les cris d’or­fraie de ceux qui s’in­quiètent déjà (à rai­son, à mon humble avis) de la fami­lia­ri­té de cer­tains de mes confrères de la presse géné­ra­liste avec les sphères décisionnelles…

Le seul modèle que j’en­tre­vois que nos lec­teurs accep­te­raient, c’est qu’on imprime nous-mêmes nos propres billets de banque. Et encore, sur nos heures de loi­sirs, parce que déjà on n’en branle pas une (quand même, à peine plus d’un test par rédac­teur et par semaine), fau­drait pas qu’on réduise notre temps de tra­vail… Et puis en quan­ti­tés rai­son­nables, fau­drait pas non plus faire plon­ger l’euro.

Et acces­soi­re­ment, fau­drait quand même qu’on inves­tisse pour faire encore plus de tests, avec des labos tou­jours plus poin­tus parce que cer­tains essais touchent à leurs limites à cause de l’é­vo­lu­tion tech­no­lo­gique (oui, par exemple, on sait que quand on chro­no­mètre les reflex actuels on joue sur l’é­pais­seur du trait plus que sur des perfs réelles et qu’il faut revoir la pro­cé­dure, inutile de nous le rap­pe­ler tous les jours quand on fait une brève par mois pour rap­pe­ler qu’on y tra­vaille). Qu’on embauche des tes­teurs pour élar­gir notre champ d’in­ves­ti­ga­tion. Qu’on soit à tous les salons pour don­ner toutes les infor­ma­tions, d’où qu’elles sortent, à la seconde où elles sortent. Qu’on connaisse toutes les gammes de tous les construc­teurs par cœur. Qu’on réponde à tous les cour­riels, même s’il y en a 25 par jour dont 23 identiques…

Le pire, c’est que ce genre de remarques à la con arrive à chaque fois à me pour­rir la jour­née, parce que l’in­gra­ti­tude d’une poi­gnée d’emmerdeurs qui nous engueulent bien plan­qués der­rière leurs cla­viers me blesse profondément.

Et je me dis que dans dix ans, y’au­ra plus un seul jour­na­liste en France, et que ces cré­tins n’ar­rê­te­ront pas de gémir parce qu’ils auront ache­té des appa­reils de merde et ne vou­dront jamais admettre qu’ils l’au­ront vrai­ment, mais vrai­ment bien cherché.