Green zone

de Paul Greengrass, 2010, ****

Roy Miller est com­man­dant dans l’in­fan­te­rie et char­gé d’exa­mi­ner des sites soup­çon­nés d’a­bri­ter des armes de des­truc­tion mas­sive. Parce qu’on est en 2003 et que, peu avant, l’ar­mée amé­ri­caine a enva­hi le ter­ri­toire ira­kien et mis le chef d’État local, Saddam Hussein, en fuite. Et comme l’exis­tence de ces armes était l’u­nique moti­va­tion de cette guerre, il faut bien en trouver.

Mais de chou blanc en chou blanc, l’i­dée fait son che­min dans son crâne de bidasse : et si la fameuse « source » attes­tant du pro­gramme d’armes de des­truc­tion mas­sive était un tuyau per­cé ? Et si cette guerre n’é­tait basée sur rien qu’une grosse intox, dans laquelle médias et gou­ver­ne­ment amé­ri­cain auraient plon­gé sans hésiter ?

On retrouve là pas mal d’in­gré­dients du thril­ler de poli­tique-fic­tion. La guerre entre CIA et auto­ri­tés mili­taires, celle-là misant sur une sta­bi­li­sa­tion de la région via l’é­mer­gence d’un lea­der local aus­si cor­rom­pu que le pré­cé­dent, celle-ci sur un Irakien exi­lé pen­dant trente ans, ouver­te­ment for­mé et contrô­lé par les États-Unis. Le héros pau­mé qui ne sait pas lui-même pour qui il bosse, parce que les gens qui lui donnent des ordres jouent au billard en cinq bandes. Le lieu­te­nant qui refuse de se mouiller. Tout ça.

Mais on trouve aus­si quelques trucs plus sub­tils. L’implication du jour­na­lisme, à la fois pro­blè­me¹, source paral­lèle d’in­for­ma­tions et solu­tion poten­tielle au pro­blème du héros. Les rela­tions entre Irakiens et Américains, et la para­noïa réci­proque qui les lie, mais aus­si la res­sem­blance entre un sol­dat et un sol­dat… La ques­tion morale de base, aus­si : est-il jus­ti­fiable de vou­loir impo­ser sa loi chez un autre ? L’importance de l’eau dans une terre déser­tique, éga­le­ment — on la voit éga­le­ment dans la récente série Generation kill, un peu hard mais hau­te­ment recommandable.

Il y a quelques très grands moments, la réa­li­sa­tion est conforme au style Greengrass — faut aimer la camé­ra à l’é­paule, mais on est vrai­ment dedans : Paul ne fait pas par­tie de ceux qui vous feront croire qu’on com­prend ce qu’il se passe quand on est plon­gé dans une bataille —, les acteurs sont impec­cables, bref, c’est très très bon.

Y’a juste un truc qui m’a gavé, et qui dis­qua­li­fie d’of­fice ce film pour l’ob­ten­tion du label « ahu­ris­sant ». C’est cette putain de musique, enva­his­sante, qui noie toutes les scènes un peu actives et ruine tota­le­ment la lec­ture audi­tive qu’on pour­rait en avoir. C’est d’au­tant plus inad­mis­sible que Paul Greengrass s’est fait connaître avec un pur chef-d’œuvre, Bloody sun­day, dont l’ul­tra-réa­lisme repo­sait notam­ment sur l’ab­sence totale de musique d’ambiance.

Du coup, voi­là un poten­tiel très grand film qui se retrouve au rayon « grands films d’ac­tion ». Dommage.

¹ Je résiste pas au plai­sir de vous repas­ser ce trait d’Arthur Clarke à pro­pos de la pre­mière guerre du Golfe : « CNN est par­tie pre­nante dans cette guerre. J’ai un rêve où Ted Turner [direc­teur de CNN] est élu pré­sident, mais refuse parce qu’il ne veut pas aban­don­ner le pouvoir ».