Moby Dick ?

Je dois féliciter mon con frère de France 2 pour l’à-pro­pos dont il a fait preuve en présen­tant la vidéo d’un petit voili­er qui s’est fait sauter dessus par une baleine franche aus­trale. Son excel­lente con­clu­sion était en effet : “Moby Dick, la baleine tueuse, n’est peut-être pas qu’une légende“¹.

Enfin, retenons quand même nos mains une sec­onde avant d’ap­plaudir. Y’a plusieurs con­ner­ies dans la phrase.

1) Moby Dick n’est pas une baleine. Une erreur de tra­duc­tion peut amen­er à le penser : le terme “whale” désigne en anglais les grands cétacés, mys­ticètes et grands odon­tocètes (épaulards et cachalots). Sou­vent équiv­a­lent, le terme français “baleine” ne désigne pour sa part que des mys­ticètes (à l’ex­cep­tion des baleines à bec²). Moby Dick est un cachalot, plus grande espèce d’odon­tocètes, “sperm whale” en anglais mais pas du tout “baleine”, tueuse ou pas.

2) Moby Dick man­i­feste dans le final du roman une volon­té claire de détru­ire le Pequod. On peut débat­tre sans fin sur l’in­ten­tion de nuire que lui prête Achab, mais il est un fait que les grands cachalots se sont régulière­ment retournés con­tre ceux qui les chas­saient, bien plus que toute espèce de baleine (d’où l’in­térêt de bien les dis­tinguer) ; le cachalot a l’in­stinct d’u­tilis­er son bulbe comme béli­er pour défon­cer le flanc d’un pré­da­teur. En com­para­i­son, les baleines franch­es (du Groën­land ou aus­trales, comme celle impliquée dans l’in­ci­dent du moment) et les baleines gris­es, impliquées dans nom­bres de col­li­sions, sont plus réputées pour n’avoir pas peur des embar­ca­tions que pour les atta­quer en cas de men­ace. Cousteau, qui a fail­li laiss­er un Zodi­ac sur une jeune franche du Groën­land et qui en a lais­sé un autre sous une grise, dis­ait qu’elles “attaquaient” par jeu, comme Obélix qui met une bour­rade ami­cale à Astérix et l’as­somme pour le compte.

En l’oc­cur­rence, d’après les images, on pense plutôt à un saut d’une besti­ole dis­traite et un peu myope, qui n’a sans doute pas dis­tin­gué les super­struc­tures du bateau et s’est posée dessus par acci­dent. Elle s’est d’ailleurs sérieuse­ment blessée dans l’im­pact, ce qui ne serait pas le cas s’il s’é­tait agi d’une agres­sion directe — les franch­es met­tent des coups de dos, de queue ou même de ros­tre — : dans ce cas, on fait gaffe.

3) Moby Dick n’est pas du tout une légende. Melville a fait un boulot de jour­nal­iste autant que de romanci­er, en ajoutant de la sauce à un plat com­posé de deux ingré­di­ents : le naufrage de l’Es­sex, cas emblé­ma­tique d’un cachalot s’en prenant — et là, en attaque frontale directe, comme les dauphins le font face à un pré­da­teur — à un baleinier plutôt qu’aux baleinières, et Mocha Dick, cachalot albi­nos de grande taille qui avait survécu à un cer­tain nom­bre d’at­taques et avait peu ou prou pris l’habi­tude de s’en pren­dre directe­ment au baleinières dès qu’une ses­sion de har­pon­nage com­mençait³, devenant ain­si une star chez les pêcheurs de Nan­tuck­et où Melville avait traîné ses guêtres de matelot dans sa jeunesse.

Au final, on a donc un beau cas de jour­nal­iste qui a rap­proché une info man­quant de sel d’un pon­cif dont il ne con­nais­sait rien, his­toire de se don­ner un air cul­tivé en citant un livre plein de pages. Pas de bol : y’a des audi­teurs qui l’ont lu.

¹ Cité de mémoire, les 30 sec­on­des sur ce sujet sem­blent avoir été zap­pées dans le jour­nal pub­lié sur le site du 20h… ‑_-’

² D’autres espèces sont par­fois appelées “baleines” : “baleine blanche”, “baleine tueuse” ou “baleine pilote”. Il s’ag­it d’abus de lan­gage calqués sur l’anglais, et elles doivent être pro­pre­ment appelées respec­tive­ment bélu­ga, orque ou épaulard et glo­bicéphale ou dauphin pilote.

³ Brave bête, va. Y’a quelques tau­reaux dans le Sud qui pour­raient écouter de tes conseils.

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