The prodigies

d’Antoine Charreyron, 2010, ****

Cinq enfants sur­doués, mais aus­si cinq enfants qui souffrent, incom­pris de leurs cama­rades, mépri­sés de leurs parents, igno­rés du reste d’une huma­ni­té trop stu­pide pour les suivre. Réunis par Jimbo, un ancien enfant sur­doué et incom­pris, enfin : ils ne sont plus seuls. Mais c’est trop deman­der que d’en pro­fi­ter sim­ple­ment : un soir, dans Central Park, ils sont agres­sés, tabas­sés, et l’une d’entre eux est vio­lée… Que faire ensuite, lorsque l’hu­ma­ni­té vous a mon­tré sa face la plus noire et que vous avez la pos­si­bi­li­té d’en prendre le contrôle, de pous­ser les cri­mi­nels à s’entre-détruire et de faire impu­né­ment jus­tice vous-mêmes ?

Entre polar, film d’ac­tion et fan­tas­tique, The pro­di­gies (qui est fran­çais, comme son nom l’in­dique…) est un des­sin ani­mé très inha­bi­tuel. Déjà, parce que c’est une œuvre réso­lu­ment pour adultes — inter­dit chez nous aux moins de 12 ans, d’ailleurs —, chose que l’on n’a­vait vue que très épi­so­di­que­ment, dans un cha­pitre de Kill Bill ou dans le très spé­cial Renaissance de Volckman par exemple.

Ensuite, parce que le trai­te­ment est à la fois réa­liste et oni­rique, les attaques des enfants-rois deve­nant très sym­bo­liques, à mi-che­min entre les codes du comics et ceux du man­ga ; ce qui, para­doxa­le­ment, n’al­lège pas la charge de dou­leur qui s’en dégage mais ren­force l’as­pect abso­lu et mons­trueux des événements.

Il faut aus­si noter l’at­taque en règle contre la socié­té du spec­tacle, qui met la télé-réa­li­té et les pré­sen­ta­teurs décé­ré­brés au rang des nui­sances, au même titre que la recherche du pro­fit de ges­tion­naires d’en­tre­prises igno­rant tout des consé­quences humaines de leurs acti­vi­tés et les vio­leurs qui traînent le soir dans New York.

Enfin, parce qu’on se sur­prend à com­prendre et sou­te­nir fon­da­men­ta­le­ment les pul­sions des méchants, vous savez, les enfants-rois qui contrôlent leurs tor­tion­naires pour les pous­ser à la mort. Comme, d’ailleurs, Jimbo les com­prend, alors même qu’il tente de les stop­per. Et fina­le­ment, on sort un peu per­tur­bé, par­ta­gé, hési­tant entre « ouf, l’hu­ma­ni­té est sau­vée » et « bor­del, mais l’hu­ma­ni­té méri­tait tota­le­ment qu’on la bute ! »

Si quelques maniaques vien­dront cri­ti­quer cer­taines liber­tés prises avec le roman ini­tial (en par­ti­cu­lier, dans La nuit des enfants rois, il n’est pas ques­tion de prendre le contrôle d’un tiers), je consi­dère pour ma part cette adap­ta­tion comme assez exem­plaire : le côté sombre, déses­pé­ré, et l’im­pla­cable volon­té des enfants-rois sont bien ren­dus, l’am­biance reste lourde et la morale… dis­cu­table, disons. Je n’ai en fait qu’un petit regret dans le trai­te­ment de l’a­gres­sion de Central Park, qui devient un ins­tant de sau­va­ge­rie subie dans la panique la plus com­plète, alors que chez Lenteric, l’a­gres­sion n’est pas encore finie que les vic­times sont déjà en train d’an­ti­ci­per les réac­tions et de nour­rir leur froide misan­thro­pie com­mune, presque même de pré­pa­rer leur vengeance.

Pour le reste, c’est un bel exemple de film d’a­ni­ma­tion pour adultes, dur, froid, lourd, sombre, sur un sujet pas for­cé­ment évident à trai­ter et ici fort bien mené.