Jeremiah

de Joseph Michael Straczynski, 2002–2003, ****

Que se pas­se­rait-il si, du jour au len­de­main, tous les adultes dis­pa­rais­saient ? C’est ce qui arrive après la « Grande mort », une mala­die mor­telle, extrê­me­ment conta­gieuse, qui épar­gnait les jeunes. Puis, ayant tué tous les adultes, le virus lui-même dis­pa­rut et les enfants purent vieillir…

Jeremiah et Kurdy ont la tren­taine. Ils sont par­mi les plus vieux, ceux qui avaient une dou­zaine d’an­nées quand la grande mort est pas­sée. Et pour sur­vivre depuis quinze ans, ils ont dû déve­lop­per ins­tinct, auto­suf­fi­sance et sur­tout une grande capa­ci­té à taper le pre­mier, et à taper fort. Le pre­mier trace la route, obsé­dé par un endroit nom­mé « sec­teur Valhalla » où son père devait fuir la mala­die ; le second  tente de lui chou­ra­ver sa bouffe. Curieusement, ils réus­sissent à ne pas s’entre-tuer et com­mencent à tailler la zone ensemble. Ayant décou­vert Thunder Mountain, une base de l’Air Force gérée par Markus, ils essaient de convaincre celui-ci de s’ou­vrir au reste du monde, pour ten­ter de réor­ga­ni­ser un peu le fou­toir géné­ra­li­sé que l’hu­ma­ni­té est devenue.

Le pro­blème de Jeremiah, la série télé, c’est qu’il y a clai­re­ment deux sai­sons sépa­rées, un peu comme si les scé­na­ristes n’a­vaient pas pré­vu qu’on leur com­mande la seconde.

La pre­mière sai­son est construite par épi­sodes, Jeremiah et Kurdy traî­nant de ville en ville, ren­con­trant des gens, récu­pé­rant quelques indices sur le sec­teur Valhalla, essayant enfin de regrou­per les villes à peu près orga­ni­sées pour créer une union autour de Thunder Mountain. La vie quo­ti­dienne dans un uni­vers pour­ri et déses­pé­rant, rem­pli de mal­frats, de voleurs, de tueurs, et où les gens sont sur­tout orga­ni­sés par la force ou, pire, la foi… Quelques nids d’es­poir tout de même, aux endroits où on ne les attend pas — des rats de biblio­thèque qui prennent les armes pour défendre leurs livres d’un lot de fas­ci­sants, un cirque iti­né­rant qui va comme eux de ville en ville, une femme déci­dée à remettre un yacht en marche pour aller voir sur un autre conti­nent si la grande mort y a sévi aussi…

L’ensemble est sou­vent décou­su, même si le fil rouge qui mène à l’u­nion des groupes orga­ni­sés autour de Markus est pré­sent. Chaque épi­sode est rela­ti­ve­ment indé­pen­dant, et si ça reste plus cohé­rent et plus inter­ven­tion­niste que la BD dont ça s’ins­pire¹ (Jeremiah et Kurdy ont une vraie influence sur l’his­toire, dont ils sont plu­tôt témoins impuis­sants chez Hermann), ça rend bien l’i­mage du gros bor­del qu’est un uni­vers post-apo­ca­lyp­tique — sur­tout quand seuls des enfants ont sur­vé­cu à l’apocalypse.

La seconde sai­son n’a rigou­reu­se­ment rien à voir. Les deux héros vont désor­mais des che­mins sépa­rés, quoique sou­vent entre­croi­sés ; Jeremiah se retrouve à gérer une ville pro­té­gée par Thunder Mountain, alors que Kurdy pour­suit sa vie de de rou­tard avec un nou­vel aco­lyte, le mys­té­rieux M. Smith, qui entend la voix de Dieu… L’intrigue est beau­coup plus sui­vie, orien­tée vers l’op­po­si­tion, puis la pré­pa­ra­tion au com­bat de Thunder Mountain et ses alliés contre l’ar­mée de Daniel, qui tire sa puis­sance de villes réduites à l’esclavage.

Dans l’en­semble, on a donc deux séries plu­tôt qu’une, la pre­mière sai­son étant une vraie œuvre post-apo­ca­lyp­tique digne des grands clas­siques, la seconde étant plu­tôt une série d’ac­tion stra­té­gique. Dans l’en­semble, ça passe plu­tôt bien, grâce à des per­son­nages assez bien construits (même s’ils n’ont pas grand-chose à voir avec les Jeremiah et Kurdy de la BD d’o­ri­gine), un uni­vers creu­sé et varié, des dia­logues sou­vent soi­gnés à l’hu­mour par­fois noir à sou­hait, et quelques thé­ma­tiques habi­tuelles trai­tées avec une cer­taine ori­gi­na­li­té (reli­gion, huma­ni­té, espoir…).

Bien sûr, j’at­tends tou­jours la série qui s’ap­pro­che­ra de l’im­mense Malevil, ou même de l’ad­mi­rable bande des­si­née Jeremiah. Mais la série télé Jeremiah est lar­ge­ment meilleure que Jericho, pour prendre une autre série post-apo­ca­lyp­tique contemporaine…

¹ Pour l’a­nec­dote, la série est « d’a­près l’œuvre de Hermann Huppen », alors qu’il signe de son seul pré­nom sous nos latitudes.