Et si Marine…

Et si Marine le Pen n’a­vait pas ses 500 signatures ?

Je sais, cer­tains vont me dire que ça serait le rêve.

Les anti-fachos les plus convain­cus, qui seraient trop heu­reux de ne pas voir le Pen à l’élection.

Les libé­raux les plus cyniques, qui seraient ain­si débar­ras­sés de la peur de la voir éli­mi­ner Sar­ko­zy du second tour.

Et bien, je ne suis pas d’accord.

Si le Pen ne pou­vait pas pré­sen­ter sa can­di­da­ture, ça vou­drait dire que, gros­so modo, un Fran­çais sur cinq se ver­rait pri­vé de can­di­dat. La ques­tion n’est pas de savoir si ce Fran­çais sur cinq a rai­son ou pas ; mais est-il nor­mal qu’une contrainte admi­nis­tra­tive puisse ain­si éli­mi­ner un can­di­dat repré­sen­tant une aus­si large part d’électorat ?

Pire encore : beau­coup des 50 % qui vont voter Hol­lande ou Sar­ko­zy au pre­mier tour le feront par défaut, par esprit gré­gaire ou par envie de vote “utile”. Les 20 % qui votent le Pen, eux, ont une vraie rai­son de voter pour elle. Ils votent soit par convic­tion propre, soit par rejet d’un bipar­tisme qui a effec­ti­ve­ment bien mon­tré ses limites. Autre­ment dit, c’est aux élec­teurs convain­cus que l’on veut sup­pri­mer un bul­le­tin, un peu comme on le fait avec ceux qui votent blanc et qui sont ain­si les seuls à don­ner leur avis sur chaque candidat.

Rap­pel : le rôle des 500 signa­tures d’é­lus est d’empêcher les can­di­da­tures far­fe­lues de frap­pa­dingues quelconques.

Par exemple, l’im­pos­si­bi­li­té de trou­ver 500 élus suf­fi­sam­ment dévoyés devrait éli­mi­ner un Che­mi­nade, vous savez, le type qui a fait 2,7 ‰ (oui, faut comp­ter en pour mille pour avoir un chiffre lisible) en 95, dont les comptes ont été inva­li­dés et qui doit donc rem­bour­ser sa cam­pagne, qui est soup­çon­né d’a­voir orga­ni­sé son insol­va­bi­li­té et dont le compte ban­caire a été sai­si en 2006. Ah ben ça marche, tiens : on me signale que Che­mi­nade a trou­vé ses 500 par­rains pour 2012… Oo

En revanche, les 500 signa­tures ne sont pas cen­sées pri­ver un cin­quième des élec­teurs d’un can­di­dat qu’ils sou­haitent voir les représenter.

Alors oui, c’est nau­séa­bond, une le Pen à la pré­si­den­tielle. Oui, ça donne tou­jours vague­ment la gerbe de consta­ter que dans notre entou­rage, 20 % des gens sont prêts à voter pour une tarée.

Mais j’es­père que le Pen aura ses 500 signatures.

Parce que si elle ne les avait pas, il n’y a que des abru­tis finis pour pré­tendre que ce serait bon pour la démocratie.

La démo­cra­tie, c’est le pou­voir au peuple. C’est aus­si hélas le droit pour un peuple de faire ses propres conneries.

Et acces­soi­re­ment, pour les gens nor­maux, ceux qui ne votent pas pour le Pen, sa can­di­da­ture aus­si est impor­tante. Com­ment, si elle n’est pas pré­sente, savoir pré­ci­sé­ment où en est notre socié­té ? Com­ment savoir si ses idées puantes se sont répan­dues, radi­ca­li­sées, ou au contraire per­dues au fil du temps ? 

C’est le même pro­blème qu’a­vec les néga­tion­nistes : à force de leur inter­dire toute expres­sion, on se rend compte un matin que leurs idées se sont insi­nuées en douce, sous le man­teau, sans qu’un his­to­rien sérieux ne les ait tra­quées pour les démon­ter preuves à l’ap­pui, faute de les avoir vues passer…

Il faut au contraire que les élec­teurs du Front natio­nal puissent s’ex­pri­mer. Il faut qu’on entende leur voix, si on veut savoir com­bien ils sont. Il faut sur­tout que le Pen puisse par­ti­ci­per à de vrais débats, où elle se fera démon­ter et mettre face à ses contra­dic­tions, plu­tôt que de la sor­tir de l’é­chi­quier et la voir ensuite se pla­cer en vic­time d’un complot.

Bref, il faut que le Pen ait ses 500 par­rai­nages, parce que ce n’est pas à l’ad­mi­nis­tra­tion mais à la démo­cra­tie de lui faire fer­mer sa gueule.