Plaidoyer pour l’abstention

Comme à chaque élec­tion, la machine à faire voter est en marche. Fran­çais, voter est un devoir civique, ne pas voter est une injure à ceux qui se sont bat­tus pour que vous ayez ce droit…

Je m’in­surge.

Voter, c’est expri­mer une pré­fé­rence. Rien d’autre. Et si on n’a aucune préférence ?

Après tout, on a le droit de ne pas s’in­té­res­ser à la politique.

Ça concerne tout le monde ? Et alors ? Ça n’est pas pour autant inté­res­sant pour tout le monde. Y’a plein de choses qui me concernent et qui ne m’in­té­ressent pas.

Par exemple, les liai­sons molé­cu­laires qui font que mes atomes res­tent bien sage­ment col­lés les uns aux autres, ça me concerne au pre­mier chef : sans elles, je tom­be­rais en par­ti­cules élé­men­taires. Pour­tant, elles n’é­veillent pas de curio­si­té par­ti­cu­lière en moi, je me fiche un peu de leur nature et de com­prendre leur fonc­tion­ne­ment. Je m’in­té­resse bien plus à la vie des gosses de mes potes, qui me concerne pour­tant beau­coup moins.

Or, obli­ger les gens à voter, par la Loi ou par la culpa­bi­li­sa­tion, c’est leur refu­ser le droit de s’en foutre.

Je dis pour ma part que les gens que la poli­tique n’in­té­resse pas ont le droit de ne pas se prendre la tête avec ça. Ils ont le droit de ne pas vou­loir qu’on leur demande leur avis, de ne pas vou­loir voter sans convic­tion, de ne pas vou­loir choi­sir un bul­le­tin au hasard. Ils ont le droit de dire “je suis incom­pé­tent en la matière, je me des­sai­sis du dos­sier et je le laisse aux gens com­pé­tents”. C’est même beau­coup plus sain que de bri­co­ler des sujets que l’on ne maî­trise pas.

La dic­ta­ture, c’est confis­quer au peuple la maî­trise de son des­tin, je crois qu’on est à peu près tous d’ac­cord là-des­sus. C’est l’o­bli­ga­tion de fer­mer sa gueule.

La démo­cra­tie, à l’in­verse, c’est le droit pour le peuple de déci­der lui-même de son des­tin. Le droit de vote, c’est le droit d’ex­pri­mer son choix, le droit de parler.

Ça n’est pas, en aucun cas, l’o­bli­ga­tion d’ex­pri­mer un choix si l’on n’en a pas envie. L’o­bli­ga­tion de par­ler, c’est comme l’o­bli­ga­tion de se taire : c’est une pri­va­tion de liberté.

Acces­soi­re­ment, obli­ger les gens à voter, c’est les inci­ter à voter au hasard. Comme si on me disait que si, il est impor­tant que je bri­cole moi-même les réglages de mes liai­sons cova­lentes, bien que je n’y entrave que dalle, au risque de me trans­for­mer en tas de car­bone, d’oxy­gène, d’hy­dro­gène et d’autres choses en vrac.

Après tout, ça vous fait pas flip­per d’i­ma­gi­ner que, faute de convic­tion clai­re­ment éta­blie, c’est le hasard qui déci­de­rait du des­tin de tout un peuple ?