Extrême gauche ou extrême con ?

Mon­sieur Sarkozy, can­di­dat à la prési­dence de la République, aujourd’hui :

Quand mon­sieur Hol­lande et mon­sieur Mélen­chon défi­lent ensem­ble, mari­ent leurs pro­grammes ensem­ble, ça c’est très bien, l’ex­trême gauche et la gauche c’est par­fait. Mais moi quand je par­le aux électeurs qui se sont portés sur madame le Pen, ça pose un prob­lème. C’est le ter­ror­isme du sys­tème médi­a­tique. Je le refuse.

Voilà qui est révéla­teur d’une ten­dance lourde d’une cer­taine droite : con­sid­ér­er le com­mu­nisme “démoc­ra­tique” comme l’équiv­a­lent à gauche de l’ex­trême droite.

Ils oublient juste un truc.

His­torique­ment, la gauche est social­iste : elle est tournée vers le peu­ple. Elle est divisée en un courant doux, con­ver­ti tôt à l’é­conomie de marché et très ouvert sur la libre entre­prise, et un courant dur, qui n’ad­met l’é­conomie de marché que depuis un passé assez récent et refuse obstiné­ment la ges­tion cap­i­tal­iste — il est ancré sur la nation­al­i­sa­tion des moyens de pro­duc­tion ou, plus récem­ment, des ban­ques. Le pre­mier courant est couram­ment appelé “social­isme”, le sec­ond, “com­mu­nisme” — chez nous du moins, la ter­mi­nolo­gie varie d’un pays à l’autre.

His­torique­ment, la droite est cap­i­tal­iste : elle est tourné vers l’en­tre­prise. Elle est divisée en un courant doux, ouvert à la pro­tec­tion sociale et à la sol­i­dar­ité nationale, et un courant dur, qui ne jure que par l’équili­bre des marchés et la lib­erté totale d’en­tre­pren­dre — il veut réduire l’É­tat à ses tâch­es régali­ennes et juge toute inter­ven­tion sur l’é­conomie comme une mau­vaise chose. Le pre­mier courant est habituelle­ment appelé “gaullisme”, le sec­ond, “libéral­isme” — et là aus­si, cette ter­mi­nolo­gie est très vari­able d’un pays à l’autre, au point qu’un “lib­er­al” améri­cain est à peu près un “social­iste” français.

Il y a égale­ment, tra­di­tion­nelle­ment, des courants non-démoc­rates, qui se qual­i­fient habituelle­ment de “révo­lu­tion­naires”. À gauche, on a l’ex­trême gauche, sym­bol­isée par Lutte ouvrière : un par­ti refer­mé sur lui-même au point de refuser tout sou­tien à Hol­lande, qui ne vaudrait selon lui pas mieux que Sarkozy. À droite, on a l’ex­trême droite, actuelle­ment dom­inée par le Front nation­al : un par­ti dont l’ou­ver­ture se lim­ite à refuser tout sou­tien à Sarkozy, accusé de men­er la même poli­tique que Hollande.

Vous l’au­rez com­pris : on recon­naît un extrême juste­ment à son refus de toute com­pro­mis­sion, y com­pris avec des gens rel­a­tive­ment proches de ses con­vic­tions. L’ex­trémiste ne négo­cie pas, ne s’al­lie pas. L’ex­trémiste se retrou­ve dans des sit­u­a­tions incroy­able­ment crétines où Laguiller et Besan­cenot, Mégret et le Pen, tout en ten­ant les mêmes dis­cours à la vir­gule près, n’ar­rivent pas à se met­tre d’ac­cord sur un pro­gramme com­mun parce qu’ils ne veu­lent pas lâch­er sur la fonte util­isée pour le titre du tract.

Le sim­ple fait que Mélen­chon accepte une cer­taine forme d’al­liance avec Hol­lande suf­fit donc à ne pas le class­er par­mi les extrêmes. Ce qui est une dif­férence fon­da­men­tale, essen­tielle, avec Marine le Pen, qui va sans doute refuser jusqu’au 6 mai de choisir entre un qu’elle accuse de ruin­er la France et un qu’elle accuse de lui vol­er ses idées (ou ce qui en tient lieu).

Au pas­sage, on notera que dans la logique his­torique des choses, Mélen­chon est dans la gauche dure et Sarkozy dans la droite dure. Enten­dre celui-ci qual­i­fi­er celui-là d’ex­trémiste est donc amu­sant, ou pour­rait l’être si ça ne reflé­tait l’ab­sence totale de cul­ture poli­tique d’un type qui vient quand même de nous gou­vern­er pen­dant cinq ans.

Dans cette symétrie gauche-droite, le pen­dant de Hol­lande serait quelque part entre Sarkozy et les cen­tristes ; ça pour­rait être un de Villepin ou une Yade. Mais à droite, les dif­férents courants ont été fon­dus de force dans l’UMP, de l’UDF (cen­tro-gaulliste) à DL (néo-libéral) en pas­sant par le RPR (gaulliste con­ser­va­teur). Cette fusion n’a jamais eu lieu à gauche : même lorsque l’u­nion sacrée a été décidée, la “gauche plurielle” a tou­jours con­servé ses dif­férents par­tis claire­ment identifiés.

Il y a tout de même, au pas­sage, une autre rai­son qui fait que l’al­liance entre com­mu­nistes et extrême gauche est pos­si­ble, beau­coup moins dif­fi­cile­ment que celle entre libéraux et extrême droite. C’est un truc tout con, vous allez voir :

l’ex­trême gauche est com­mu­niste, alors que l’ex­trême droite n’est pas libérale.

Sur les fon­da­men­taux économiques et soci­aux, com­mu­nistes et extrême gauche sont d’ac­cord. Les dif­férences se jouent sur les modal­ités d’ap­pli­ca­tion : par exem­ple, la nation­al­i­sa­tion se ferait par expro­pri­a­tion chez les uns, par refi­nance­ment d’É­tat chez les autres ; elle serait générale, ou ciblée à quelques domaines-clefs ; elle serait sys­té­ma­tique, ou réservée aux entre­pris­es qui “ne jouent pas le jeu” (par exem­ple en cher­chant à échap­per à l’im­pôt ou en imposant des cadences à leurs employés).

Ce n’est pas le cas à droite. Il y a un pan fon­da­men­tal, irré­c­on­cil­i­able, qui sépare libéraux et extrême droite : la sou­veraineté. Les libéraux sont par essence même favor­ables à l’ou­ver­ture des marchés, aux échanges inter­na­tionaux, à la détax­a­tion ; l’ex­trême droite française est extrême­ment loin de ces posi­tions, puisqu’elle est nation­al­iste, favor­able à un pro­tec­tion­nisme fis­cal forcené et à un con­trôle absolu des frontières.

Or, l’or­gan­i­sa­tion de la tax­a­tion et des échanges com­mer­ci­aux est un des points fon­da­men­taux d’une poli­tique d’É­tat. Et sur ce point, libéral­isme et nation­al­isme sont mutuelle­ment incom­pat­i­bles. Quels que soient les appels du pied que Sarkozy peut faire aux électeurs du Front nation­al, en mul­ti­pli­ant les déc­la­ra­tions anti-immi­gra­tion ou sécu­ri­taires par exem­ple, il butera sur cet écueil : il ne pour­ra jamais les regarder dans les yeux et leur dire qu’il fera sor­tir la France de l’U­nion européenne, restau­r­era les bar­rières douanières et le con­trôle des flux de cap­i­taux, ou alors ses amis de trente ans gavés sur l’é­conomie trans-frontal­ière seront les pre­miers à le faire abattre.

Au fond, sur le plan économique, le Front nation­al est sou­vent plus proche des com­mu­nistes que des libéraux. La con­fir­ma­tion ultime de ces con­sid­éra­tions, ce sont les sondages chez les électeurs du Front nation­al : env­i­ron 40 % prévoient de vot­er pour Sarkozy, 20 % pour Hol­lande, le reste se lançant dans un grand week-end de pêche à la mouche. On n’a pas du tout les mêmes sta­tis­tiques chez l’ex­trême gauche, dont la plu­part des électeurs se repor­tent sur Hol­lande, quelques-uns sur l’ab­sten­tion, et presque aucun sur Sarkozy.

Le prob­lème de Sarkozy n’est donc pas d’ac­cepter ou non les voix du FN — de toute façon, les électeurs votent pour qui ils veu­lent —, mais que les électeurs du FN acceptent ou non de vot­er pour lui.

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