Ligue de défense des cons

La Ligue de défense des conduc­teurs a publié une superbe vidéo, un peu aride il est vrai, sur les radars mobiles embarqués.

Et autant le dire fran­che­ment : je suis atterré.

D’a­bord, par le fond alar­miste qui s’en dégage. À entendre les gens de la Ligue (au pas­sage, une “ligue” est, par nature, une asso­cia­tion de lutte ; quels que soient les buts qu’elle pour­suit, la simple uti­li­sa­tion de ce mot met en marche mon détec­teur à fachos), il serait impos­sible de ne pas être vic­time des radars mobiles embarqués.

L’ex­pli­ca­tion : il suf­fi­rait à une voi­ture équi­pée de cir­cu­ler à quelques kilo­mètres à l’heure sous la limite pour fla­sher auto­ma­ti­que­ment tous les véhi­cules qui la dépassent.

Ceci est une conne­rie sans nom et un men­songe pur et simple.

Il y a un truc qui existe, qui s’ap­pelle la “marge tech­nique”. Pour les ciné­mo­mètres mobiles, elle est de 10 km/h en des­sous de 100 km/h, 10 % de la vitesse enre­gis­trée au des­sus (arrê­té du 4 juin 2009, II.6). Au delà de cette marge, le ciné­mo­mètre est répa­ré ou réformé.

Cette marge est appli­quée sys­té­ma­ti­que­ment, même sur un ciné­mo­mètre en par­fait état. D’a­près les construc­teurs, la marge d’er­reur réelle est très lar­ge­ment infé­rieure. Dans la grande majo­ri­té des cas, les conduc­teurs ver­ba­li­sés pour avoir rou­lé à 91 km/h au lieu de 90 km/h étaient donc plu­tôt entre 95 et 100 km/h.

À l’in­verse, les construc­teurs d’au­to­mo­biles sont très à che­val sur leur indi­ca­teurs de vitesse embar­qués : ceux-ci sont par­fois neutres, mais plus sou­vent exces­sifs. Et ce, pour une rai­son simple : si quel­qu’un démon­trait que son tableau de bord indi­quait 90 km/h lors­qu’il s’est plan­té à 91 km/h, la res­pon­sa­bi­li­té du construc­teur du véhi­cule serait enga­gée. Les construc­teurs prennent donc eux-mêmes une marge tech­nique (de mon expé­rience, de l’ordre de 5 %) en fai­sant affi­cher une vitesse supé­rieure à celle réel­le­ment détec­tée. Donc, pour rou­ler entre 95 et 100 km/h, il faut géné­ra­le­ment affi­cher 100 à 105 km/h au compteur.

Bilan : pour être ver­ba­li­sé pour un kilo­mètre à l’heure d’ex­cès, il faut en réa­li­té en avoir une dizaine.

Si une voi­ture roule à 85 km/h et que vous dépas­sez le 100 km/h pour la dou­bler, c’est soit que vous avez dû prendre le plus de vitesse pos­sible pour com­plé­ter votre dépas­se­ment avant un obs­tacle ou un virage, donc que vous avez dépas­sé sans marge de sécu­ri­té, soit que vous êtes un gros bour­rin qui accé­lère sans rai­son valable. Dans les deux cas, vous méri­tez votre amende.

Quant à l’ar­gu­ment selon lequel “vous devrez sur­veiller en per­ma­nence votre vitesse”, outre que c’est déjà le cas, j’i­rai plus loin : si vous pas­sez de 90 à plus de 100 (au comp­teur) sans vous en rendre compte, alors je pense qu’on devrait vous reti­rer le volant, pour la sécu­ri­té de tous.

Mais ce n’est pas le seul truc affli­geant dans cette longue et morne vidéo.

Il y a par exemple le cal­cul de ren­ta­bi­li­té des radars (213 mil­lions par machine et par an), qui part du prin­cipe que le radar va fla­sher neuf véhi­cules par minute 24 heures sur 24 tout au long de l’an­née. Or, un ciné­mo­mètre mobile est dans une voi­ture, qui ne cir­cule pas en per­ma­nence (faut faire le plein de temps en temps, la répa­rer, tout ça). Et il ne croise pas 24 heures sur 24 neuf véhi­cules à la minute, sans même par­ler de neuf contrevenants.

Selon le même cal­cul, les radars fixes devraient rap­por­ter beau­coup plus : les der­niers peuvent fla­sher plu­sieurs véhi­cules à la seconde ! Pour­tant, ils ne rap­portent que 250 000 € pièce, d’a­près la même vidéo…

Il y a enfin une mons­truo­si­té juri­dique abso­lu­ment remarquable :

Com­ment vou­lez-vous contes­ter une infrac­tion dont vous ne vous êtes même pas ren­du compte ?

Je pose­rais plu­tôt la ques­tion à l’in­verse : com­ment peut-on contes­ter une infrac­tion dont on s’est ren­du compte ? Si on s’en est ren­du compte, ça veut dire que l’in­frac­tion est consti­tuée : c’est un fait, qui n’est par défi­ni­tion pas contestable.

Si l’on veut contes­ter un pro­cès-ver­bal, on affirme que l’in­frac­tion n’a pas eu lieu. Si l’in­frac­tion a eu lieu et qu’on ne s’en est pas ren­du compte, on peut plai­der la bonne foi. Mais si on s’en est ren­du compte, on ferme sa gueule et on paie, c’est la moindre des choses !

Bref, cette vidéo n’est pas seule­ment chiante, mal fichue et idéo­lo­gi­que­ment très orien­tée : elle est pure­ment et sim­ple­ment men­son­gère, je soup­çonne que plu­sieurs de ses pas­sages (l’u­ti­li­sa­tion du terme “racket” par exemple) consti­tuent le délit de dif­fa­ma­tion, et elle est juri­di­que­ment aberrante.

Pour ma part, je regrette dans la géné­ra­li­sa­tion des “radars” l’ob­ses­sion por­tée sur la vitesse, alors que l’im­mense majo­ri­té des acci­dents que j’ai vus ces der­nières années venaient de feux ou de prio­ri­té grillés — der­nier en date : un car­ton entre deux scoo­ters, un qui cir­cu­lait à contre-sens et l’autre dans le bon sens, mais tous deux sur une piste cyclable…

Les acci­dents d’au­to­mo­bi­listes sont de moins en moins graves, mais les pié­tons repré­sentent à eux seuls près de 10 % des morts sur la route (485 morts en 2010, sur envi­ron 5000 morts par an au total). Il serait peut-être temps de s’oc­cu­per d’autre chose que de vitesse — ou au mini­mum de mettre l’ac­cent sur le 50 en ville, rare­ment res­pec­té et qui pré­sente bien plus de dan­gers que le 90 sur une belle départementale.