Des hommes sans loi

de John Hillcoat, 2012, ****

La pro­hi­bi­tion fut une période dorée pour le grand ban­di­tisme et fit d’Al Capone un héros légen­daire. Mais toute grande struc­ture repose sur des petits mains ; pour toute entre­prise de vente d’al­cool à l’é­chelle natio­nale, il faut des petits bouilleurs de crus.

Des hommes sans loi, c’est l’his­toire des frères Bondurant, tenant un bis­trot dans les Appalaches et fai­sant tour­ner des alam­bics qua­si­ment au grand jour. Et, plus pré­ci­sé­ment, de leur lutte contre la mise en coupe réglée de la région par une admi­nis­tra­tion noyau­tée par le grand ban­di­tisme, bien loin des flics locaux qui se contentent d’une caisse de mau­vais whis­ky pour lais­ser pas­ser une voiture.

Ça se passe dans les années 30 et en Virginie ; ce n’est donc pas un wes­tern. Mais cet « eas­tern » reprend toutes les clefs du genre, et il est qua­si­ment impos­sible de n’y pas retrou­ver les thé­ma­tiques chères à Il était une fois dans l’Ouest ou Open range : les petits pas plus hon­nêtes que la moyenne qui luttent contre des gros fran­che­ment mal­hon­nêtes, des ven­geances et des com­bats de rue armes à la main, un hom­mage et une cri­tique de l’ame­ri­can way of life

On retrouve aus­si cette ten­ta­tion per­pé­tuelle du wes­tern à ne pas avoir de « vrai gen­til ». D’ailleurs, « ce n’est pas leur vio­lence qui classe les hommes, c’est jus­qu’où ils sont prêts à aller ». Les deux aînés Bondurant sont des tei­gneux indes­truc­tibles, prêts à aller très loin dans le mas­sacre, et si le ben­ja­min est moins natu­rel­le­ment violent, il « devient adulte », en quelque sorte, lors­qu’on le pousse à prendre les armes.

Les « gen­tils » n’é­tant pas gen­tils, le méchant doit être très méchant. Ce sera donc un flic gomi­né et cita­din, dont l’é­lé­gante façade n’a d’é­gale que la bru­ta­li­té inté­rieure. Ses alliés, les flics cam­pa­gnards, sont fina­le­ment bien plus proches des petites gens que de ce per­vers sadique, et cette oppo­si­tion au sein même des forces de l’ordre est un élé­ment de ten­sion sup­plé­men­taire du film.

Il convient de noter la qua­li­té de la pho­to, Benoît Delhomme pro­po­sant sans doute ici son œuvre la plus tra­vaillée (même si j’ai pas tout vu de lui). Les plans noc­turnes en clair-obs­cur sont par­fois sublimes et le gra­phisme tran­ché, alter­nant scènes sombres et images lumi­neuses, par­ti­cipe plei­ne­ment à la force du film. Les acteurs font éga­le­ment un superbe bou­lot, même si cer­tains cri­ti­que­ront la naï­ve­té ahu­rie de Shia LaBeouf (qui colle pour­tant par­fai­te­ment au per­son­nage), et portent des dia­logues bien construits, entre âpre­té clas­sique du wes­tern et humour plus ou moins déca­lé (« I thought I walked »).

Dans l’en­semble, c’est donc un très bon hybride de wes­tern et de film noir, bien qu’il se déroule en plein Est et ne contienne pas d’en­quête. C’est fort, pre­nant, par­fois amu­sant mais sou­vent dur et impla­cable, et les ama­teurs des genres devraient adorer.