Signe religieux ostensible

Suite aux réac­tions exa­cer­bées de quelques incultes (sou­vent mani­pu­lés par des connards cyniques), une cer­taine Marine le Pen a cru utile de la rame­ner pour deman­der l’in­ter­dic­tion de tout signe reli­gieux osten­sible dans l’es­pace public, l’i­dée étant d’im­po­ser une laï­ci­té totale hors du domicile.

Bien.

J’ai juste une ques­tion : c’est quoi, un signe religieux ?

Il ne fait guère de doute qu’une tenue d’é­vêque est un signe reli­gieux (au pas­sage, ça va être très amu­sant lors des pèle­ri­nages à Lourdes ou des visites du pape du chef d’É­tat du Vati­can, si on veut équi­ta­ble­ment appli­quer cette règle sur le ter­ri­toire de la République).

Mais un fou­lard est-il un signe reli­gieux ? Nos grands-mères, qui n’é­taient pas toutes musul­manes, se cou­vraient la tête d’un fichu pour sor­tir. Devrait-on alors leur auto­ri­ser ce qui est une ques­tion d’é­lé­gance per­son­nelle, alors qu’on inter­dit aux autres ce qui est un signe religieux ?

Plus vicieux : une croix gam­mée est-elle un sym­bole poli­tique (natio­nal-socia­liste) ou reli­gieux (hin­dou) ? L’exemple est cari­ca­tu­ral, mais on ne compte pas le nombre de sym­boles d’une reli­gion qui, dans d’autres cultures ou d’autres lieux, ont des signi­fi­ca­tions tota­le­ment dif­fé­rentes. Doit-on confis­quer aux laïcs des sym­boles qu’il uti­li­se­raient “laï­que­ment”, sous pré­texte que d’autres peuvent les uti­li­ser religieusement ?

Et quid des tenues por­tant en elles-mêmes un sym­bole reli­gieux ? Doit-on inter­dire les tenues gothiques sous pré­texte qu’il s’a­git d’une réac­tion religieuse ?

Je vais pous­ser plus loin : l’in­ter­dit de la nudi­té est très lar­ge­ment par­ta­gé par les reli­gions du Livre, por­té par l’An­cien tes­ta­ment : “leurs yeux s’ouvrirent, et ils sur­ent qu’ils étaient nus”. Dans de nom­breuses cultures, les êtres humains allaient nus jus­qu’à ce que les curés viennent leur incul­quer la honte de leur corps. Dès lors, ne doit-on pas consi­dé­rer tout vête­ment comme un signe reli­gieux ? En par­ti­cu­lier, toute per­sonne por­tant un maillot de bain à la plage en été ne mani­feste-t-elle pas un com­plexe religieux ?

La réa­li­té, c’est qu’in­ter­dire tout signe reli­gieux est impos­sible, parce que tout peut être un signe reli­gieux — il suf­fit qu’une reli­gion décide de l’a­dop­ter comme sym­bole. Si, demain, je fonde une reli­gion basée sur le mar­ron chaud, les ven­deurs de Noël feront lar­ge­ment œuvre de pro­sé­ly­tisme — ah par­don, on me souffle que “Noël” est déjà une fête religieuse.

La laï­ci­té n’est pas l’an­ti-clé­ri­ca­lisme, ni l’a­théisme, ni l’ag­nos­ti­cisme. La laï­ci­té dit que la reli­gion est un choix pri­vé de l’in­di­vi­du que cha­cun est libre d’as­su­mer selon les moda­li­tés de son choix, dès lors que celles-ci n’in­ter­fèrent pas dans les liber­tés des autres.

Lorsque quel­qu’un pro­mène une croix, une kip­pa ou une robe orange dans la rue, inter­fère-t-il avec ma liber­té de croire ? Fran­che­ment, je ne vois pas en quoi. Je ne vois donc pas en quoi la laï­ci­té inter­dit de por­ter des signes reli­gieux dans l’es­pace public.

Il ne s’a­git pas, évi­dem­ment, d’au­to­ri­ser qui­conque à déran­ger l’es­pace public par sa reli­gion. Prier dans la rue, par exemple, est une atteinte à l’ordre public : cela nuit à la cir­cu­la­tion des gens. Cela doit donc être répri­mé confor­mé­ment aux lois sur l’at­teinte à l’ordre public ou à la libre cir­cu­la­tion. Appe­ler au meurtre d’un réa­li­sa­teur est une apo­lo­gie de crime et doit être répri­mé. Deman­der des auto­da­fés de Char­lie heb­do est une atteinte à la liber­té d’ex­pres­sion et doit être réprimé.

Bref, il n’est abso­lu­ment pas ques­tion d’au­to­ri­ser les phé­no­mènes extré­mistes à nous dic­ter nos com­por­te­ments, notre humour ou nos goûts.

Mais vou­loir inter­dire tout signe reli­gieux, en plus d’être inap­pli­cable, est une réac­tion extré­miste face à un phé­no­mène paci­fique. Le fas­cisme n’est pas dans ceux qui portent une kip­pa ou ont une croix sur leur cos­tard ; il est dans ceux qui sou­haitent régler la façon dont les autres parlent, mangent, s’ha­billent. C’est contre eux qu’il faut lut­ter, pas contre les simples croyants qui foutent la paix au reste du monde.

Et c’est aus­si valable en dehors de la reli­gion, d’ailleurs.