Gérard, Philippe, Fabrice et les autres…

Qu’on me par­donne si, avec un peu de retard, je donne mon avis sur la polé­mique qui agite les acteurs fran­çais depuis une semaine. Il se trouve que je suis un grand malade de ciné­ma et que, même si cer­tains aspects du ciné­ma fran­çais m’a­gacent par­fois (la comé­die de mœurs cho­rale, ça va bien cinq minutes, mais on a par­fois l’im­pres­sion que presque toute la pro­fes­sion veut se conten­ter de ça), j’ai une affec­tion cer­taine pour ceux qui le font, et qu’il m’a fal­lu un moment pour trier un peu ce que je pen­sais de cette histoire.

C’est d’au­tant plus dou­lou­reux que ma conclu­sion est ter­rible : vous êtes, mes­dames et mes­sieurs, une bande de cré­tins égo­cen­triques et arrogants.

Chro­no­lo­gie oblige, je vais com­men­cer par Depar­dieu, par qui le scan­dale arrive. Depar­dieu, qui joue le gros égoïste de base en s’ins­tal­lant en Bel­gique — c’est son droit ; c’est inélé­gant et vague­ment insul­tant pour l’É­tat qui lui a offert la car­rière qu’il a eue en sub­ven­tion­nant ses films, mais c’est son droit. Depar­dieu qui, sur­tout, pète les plombs lors­qu’un pre­mier ministre exprime qu’il trouve ce com­por­te­ment minable, et part dans un délire gran­di­lo­quent van­tant son tra­vail, les impôts qu’il a payés et le fait qu’il n’ait tué per­sonne (c’est bien le moins), la condam­na­tion de son fils il y a quelques années… Ridi­cule, tout simplement.

Tor­re­ton ne l’est pas moins. Sa dia­tribe mêle en vrac poli­tique, agres­sion gra­tuite et leçons de morale, mais sur­tout, on sent le mépris abso­lu de l’ ”artis­tique” contre le “popu­laire”. Pré­sen­ter son adver­saire comme un ivrogne mor­fale, c’est mal mas­quer la supé­rio­ri­té sup­po­sée du socié­taire de la Comé­die-fran­çaise contre celui qui n’a jamais eu d’autre pré­ten­tion que de dis­traire — et peut-être aus­si la frus­tra­tion de voir que celui-ci a mieux réus­si à se faire recon­naître du public.

La réponse du ber­ger à la ber­gère vient d’un des rares à avoir réel­le­ment un pied de chaque côté : Luchi­ni, qui se per­met d’at­ta­quer la fil­mo­gra­phie de Tor­re­ton. Déjà, se moquer d’un polar pas abso­lu­ment génial, mais solide et hon­nête comme L.627, quand on a soi-même com­mis Jean-Phi­lippe, P.R.O.F.S. ou Emma­nuelle 4, faut oser ; mais sur­tout, Luchi­ni est le plus mal pla­cé pour oublier que Tor­re­ton est éga­le­ment un acteur de théâtre clas­sique, socié­taire de la Comé­die-fran­çaise depuis près de vingt ans. Que Luchi­ni oublie ce “petit détail” pour por­ter aux nues la car­rière presque exclu­si­ve­ment ciné­ma­to­gra­phique de Depar­dieu, c’est une faute que lui, plus encore que tout autre, ne pou­vait se permettre.

Deneuve s’en mêle et est peut-être celle qui est le plus près de sur­na­ger, reje­tant Depar­dieu qui fuit et Tor­re­ton qui juge dos à dos (même si elle tape plus fort sur celui qui frappe un homme à terre). Mais il reste cette remarque, “Qu’auriez vous fait en 1789, mon corps en tremble encore !”, qui détruit tota­le­ment le pro­pos — on n’a échap­pé que d’un che­veu à la réfé­rence à Vichy…

Res­tent les nom­breux autres, qui y sont tous allés d’un mot ici ou là, comme si on leur deman­dait leur avis, et que je n’énumérerai pas par crainte d’en oublier.

Alors voi­là : mes­dames, mes­sieurs, vous êtes tous ridicules.

Fau­teur, don­neurs de leçons, peu importe fina­le­ment. Vous faites tous dans la pédan­te­rie, dans les appels aux grands prin­cipes, et sur­tout vous rap­pe­lez tous vos car­rières res­pec­tives, que ce soit pour vous dédoua­ner ou pour atta­quer un adversaire.

Mais vos car­rières, je suis déso­lé de vous le dire, ont toutes des cas­se­roles. Et toutes des points d’orgues, aus­si, c’est vrai. Vous avez tous joué dans Cyra­no de Ber­ge­rac, dans Fort Saganne, dans L.627, dans Capi­taine Conan, dans Les val­seuses ou dans Dans la mai­son ; vous avez aus­si tous joué dans Asté­rix et Obé­lix au ser­vice de sa Majes­té, dans Et la ten­dresse ? Bor­del ! n°2, dans Ban­lieue 13 — ulti­ma­tum, ou encore dans Les demoi­selles de Roche­fort.

Mer­ci donc d’é­vi­ter de vous balan­cer vos fil­mo­gra­phies à la gueule : ça ne sert qu’à mon­trer que votre obses­sion de vous regar­der le nom­bril n’a d’é­gal que votre capa­ci­té à oublier vos navets.

Au final, vous n’ar­ri­vez qu’à vous ridi­cu­li­ser vous-mêmes et, ce qui est plus grave, à don­ner une image déplo­rable du milieu dans lequel vous bos­sez. Pen­dant que les acteurs amé­ri­cains de tout bord poli­tique (même s’il y a sur­tout des démo­crates) font des clips sou­te­nant une péti­tion pour limi­ter la vente d’armes d’as­saut et obli­ger à une véri­fi­ca­tion de casier judi­ciaire avant tout achat d’arme à feu, vous vous vau­trez dans les argu­ments débiles et mon­tez en épingle une affaire qui ne méri­tait qu’une indif­fé­rence polie.

Beau­coup de Fran­çais ont déjà une image médiocre de leur ciné­ma, jugé comme infé­rieur à celui d’outre-Atlan­tique, à cause de trop nom­breuses tra­gi-comé­dies faciles où les dia­logues rem­placent le scé­na­rio. Beau­coup ont ten­dance à oublier que Spiel­berg ne serait pas qui il est sans la “nou­velle vague”, que le film noir fran­çais sert de réfé­rence et d’ins­pi­ra­tion à bien des polars amé­ri­cains (y com­pris récem­ment, avec les œuvres d’O­li­vier Mar­chal par exemple), et que le ciné fran­çais a per­mis à quelques petits bijoux de voir le jour — À moi seule, Polisse, The pro­di­gies

Par votre agi­ta­tion, vous ajou­tez à l’i­mage immé­ri­té de “ciné­ma à la papa” celle d’ac­teurs petits au sens moral du terme, mes­quins et plus inté­res­sés par leur car­rière que par les œuvres qu’ils doivent porter.

Toutes et tous, vous êtes payés par des gens comme moi, qui vont voir vos films et par­fois poussent jus­qu’à ache­ter des disques optiques. Je vous paie. Et je vous paie pour faire des films, inter­pré­ter des per­son­nages, leur don­ner corps et trans­mettre des émo­tions. Je vous paie pour me dis­traire, m’a­mu­ser, m’é­mou­voir, voire me bouleverser.

Vous avez évi­dem­ment le droit, comme tout un cha­cun, de don­ner votre avis. Mais de grâce, vos que­relles de cour d’é­cole ne me concernent pas ; j’ap­pré­cie votre tra­vail, je vous aime en tant qu’ac­teurs, mais je ne connais pas vos per­sonnes et je n’ai que faire de vos egos. Si je dois vous entendre par­ler vous-mêmes et non plus à tra­vers les mots d’un dia­lo­guiste, alors ayez un mini­mum de res­pect pour le ciné­ma et assu­rez-vous d’u­ser d’in­tel­li­gence, de réserve et de réflexion.

À moins que votre but soit que, la pro­chaine fois que je ver­rai un de vos films, je n’ar­rive plus à me plon­ger dedans, à com­pa­tir à son his­toire, à appré­cier ses retour­ne­ments ; que je ne pense plus qu’à vos gueules à vous — qui devraient, au contraire, s’ef­fa­cer devant vos per­son­nages. Mais si tel est votre but, je pense que du point de vue des réa­li­sa­teurs, pro­duc­teurs et autres pro­fes­sion­nels du ciné­ma, ça sera vu comme du sabotage.