Silver linings playbook¹

de David Russell, 2012, ****

À vue de nez, il va y avoir une pluie d’Oscars pour les gens qui ont bos­sé sur ce film : il a cho­pé huit nomi­na­tions — meilleur film, meilleur réa­li­sa­tion, les quatre rubriques « acteurs », meilleur scé­na­rio adap­té et meilleur mon­tage. Dans ces cas-là, on peut s’at­tendre à de l’ex­cellent… ou à du par­fai­te­ment for­ma­té pour séduire l’Académie.

Silver linings play­book tient un peu des deux. L’histoire de base est suf­fi­sam­ment calée pour plaire au plus grand nombre : en gros, c’est la vie de deux dépres­sifs qui s’aident mutuel­le­ment à remon­ter la pente. Et trai­ter la dépres­sion et la bipo­la­ri­té sous un tour tra­gi-comique peut impli­quer n’im­porte quel spec­ta­teur, sans pour autant être trop agres­sif pour les âmes sen­sibles. On rajou­te­ra quelques dia­logues mar­quants, un peu de morale facile mais pas trop, et un hap­py end annon­cé dès les pre­mières minutes (même si un détail lais­sait espé­rer un retour­ne­ment final) pour évi­ter de perdre trop de spec­ta­teurs en route, et l’on aura un ensemble peut-être un peu léger mais au suc­cès garanti.

Et pour­tant, c’est plus que ça.

Silver linings play­book a, sous ses airs de comé­die dra­ma­tique clas­sique, quelques vraies qua­li­tés et un trai­te­ment plu­tôt réa­liste de la dépres­sion, des troubles obses­sion­nels com­pul­sifs et de la bipo­la­ri­té. Il reste loin de la dure­té de Prozac nation ou Greenberg, mais ne passe pas sous silence le pathé­tique et la vio­lence qui peuvent sur­gir lors­qu’on réagit à une musique, une phrase, un détail quel­conque du quotidien.

De même, je ne sais que déci­der de ce « détail » cen­tral du film : tous les per­son­nages impor­tants souffrent de mala­dies men­tales plus ou moins mar­quées — dépen­dance aux paris, troubles obses­sion­nels, ten­dances mani­pu­la­trices, etc. Pat et Tiffany ne sont pas plus tarés que les autres ; mais eux, ils connaissent et admettent, voire reven­diquent leurs pro­blèmes. Freud disait gros­so modo que si quel­qu’un paraît sain, c’est juste qu’on n’a pas iden­ti­fié sa névrose ; David Russell et Matthew Quick doivent pen­ser à peu près la même chose. C’est trai­té sous un tour comique, les crises du père ayant des consé­quences assez mar­rantes, mais c’est au fond assez perturbant.

Sur un plan plus for­mel, on retrouve une réa­li­sa­tion assez sobre, clas­sique, effi­cace mais rare­ment vir­tuose : David Russell n’est déci­dé­ment pas un réa­li­sa­teur hors normes. Il exprime en revanche un talent de direc­teur, arra­chant de De Niro sa meilleure per­for­mance d’ac­teur depuis Heat, confir­mant les qua­li­tés éblouis­santes de Jennifer Lawrence (je fais réfé­rence à Winter’s bone plus qu’à Hunger games, évi­dem­ment) et arri­vant même à faire jouer cor­rec­te­ment Bradley Cooper — qui sort enfin de ses rôles de beau gosse de ser­vice à qui rien de résiste, cf. Limitless, les Very bad trip, L’Agence tous risques… Globalement, tous les acteurs font un beau bou­lot, même si les seconds rôles moins tra­vaillés et plus cari­ca­tu­raux viennent ren­for­cer le côté comique du film.

Si l’on fait le bilan, les points faibles tiennent sur­tout à une réa­li­sa­tion sans éclat, alors que les points forts se comptent par brouettes, avec des per­son­nages bien construits, plein de petits détails émou­vants, des acteurs ins­pi­rés qui aspirent le spec­ta­teur dans leurs aven­tures et un scé­na­rio moins creux qu’il n’y paraît au pre­mier coup d’œil. C’est donc une bonne idée que d’al­ler le voir.

¹ Le Comité anti-tra­duc­tions débiles recom­mande l’u­ti­li­sa­tion du titre ori­gi­nal pour ce film, inex­pli­ca­ble­ment dis­tri­bué chez nous sous le titre « Happiness therapy ».