Flying wild Alaska

Fin de ma tour­née des séries aéro rafraî­chis­santes. Après le Canada en fic­tion et en télé-réa­li­té, rap­pro­chons-nous du cercle polaire et de la Russie et allons voler en Alaska.

L’Alaska, cet État un peu pau­mé, là-bas, loin des « lower 48 » — les 48 États d’en bas sur la carte, ceux qui sont coin­cés entre le Canada et le Mexique, où il fait chaud en été, tiède en hiver, où la végé­ta­tion pousse faci­le­ment, où il fait vrai­ment nuit plu­sieurs heures par jour même à la mi-juin et où on peut apprendre à pilo­ter tran­quille­ment sur des pistes larges et pas balayées par un vent à décor­ner les bœufs. Un État où, plus encore que dans les autres États-Unis, l’a­vion est un moyen de trans­port quo­ti­dien, parce que y’a aucune route et que les moto­neiges, ça tient pas chaud.

C’est le sujet de Flying wild Alaska : la vie d’Era Alaska, grosse com­pa­gnie qui fait du trans­port à la demande entre les dif­fé­rents bleds du pays. Quelques pilotes un peu givrés, une flotte de petits avions (Cessna 180, 206 et Caravan) parce qu’i­ci, on fait vrai­ment de la des­serte locale, quelques avions un peu plus gros (Beech 1900D, alias le truc le plus moche de l’his­toire de l’a­via­tion, et Dash‑8) pour les liai­sons entre les hubs, et voi­là. Au pro­gramme : livrai­son de moto­neiges, de vac­cins, de nour­ri­ture, de pas­sa­gers, de piz­zas et de gâteaux d’an­ni­ver­saire même. Et du vent, des arri­vées en crabe qua­si­ment à l’é­querre sur des pistes en terre à peine plus larges que le train d’at­ter­ris­sage, des dépôts de skieurs en plein milieu de la cam­brousse gla­cée en essayant de trou­ver un coin vague­ment plat pour poser des skis ou des pneus basse pres­sion, des approches à l’ho­ri­zon­tale pour tou­cher sur un ter­rain qui monte, tout ça. Du vrai bou­lot de pilote de brousse, en somme, sauf que la brousse, c’est dix mille kilo­mètres plus bas et soixante degrés plus chaud.

Comme beau­coup de séries de télé-réa­li­té, Flying wild Alaska souffre de quelques fai­blesses aga­çantes : la méca­nique des épi­sodes, avec un sus­pense arti­fi­ciel juste avant les cou­pures publi­ci­taires et une écri­ture très cadrée ; les témoi­gnages face à la camé­ra des pro­ta­go­nistes ; et une ten­dance régu­lière à en faire un peu trop. Par ailleurs, les connais­seurs note­ront cer­taines inco­hé­rences de mon­tage, comme des sons ne cor­res­pon­dant pas aux avions en cours d’u­ti­li­sa­tion, des volets qui rentrent et sortent d’une image à l’autre, bref, des plans de coupe mal placés.

Elle a aus­si quelques qua­li­tés, dont cer­taines qui manquent à Ice pilots NWT, série la plus simi­laire. En pre­mier lieu, celle-ci se concentre trop sur les pro­blèmes per­son­nels des « héros », alors que Flying wild Alaska trouve un bien meilleur équi­libre entre ce que les gens font et ce qu’ils en pensent. L’ambiance est éga­le­ment beau­coup moins pesante et les per­son­nages plus sym­pa­thiques — pas seule­ment parce qu’Ariel Tweto est un peu plus agréable à regar­der que Mikey McBryan — et plu­sieurs épi­sodes n’hé­sitent pas à sor­tir fran­che­ment du cadre aéro­nau­tique pour pré­sen­ter plus lar­ge­ment la vie quo­ti­dienne des habi­tants, qu’ils s’a­gisse de la vieille ron­chonne qui vit huit mois par an seule dans sa sta­tion recu­lée (« Les gens disent que j’ha­bite au milieu de nulle part, et je dois tou­jours les reprendre : j’ha­bite au som­met de nulle part, le milieu est deux cents milles plus au sud »), de la construc­tion d’un han­gar de ser­vice, des éco­liers qui quittent leur île une fois par an pour assis­ter à l’Iditarod, des gens qui passent leurs vacances dans une cabane à cin­quante milles de toute terre habi­tée, des éle­veurs de chiens qui sélec­tionnent leurs bêtes pour l’Iditarod, des Californiens qui viennent construire une rampe de skate pour amu­ser les mômes ou… des habi­tantes qui trouvent sym­pa d’al­ler exhi­ber leur sou­tif devant les concur­rents de l’Iditarod¹. Ces sujets annexes apportent une varié­té bien­ve­nue, de même que le long appren­tis­sage du pilo­tage par Ariel, der­nière reje­tonne d’une famille d’aé­ro­nautes, dont les hési­ta­tions de débu­tante et la pro­gres­sion pas à pas mettent mieux en lumière le niveau des pilotes professionnels.

J’aurai tout de même un regret : le manque de pers­pec­tive his­to­rique. Era est une com­pa­gnie un peu spé­ciale, issue de la fusion pro­gres­sive d’une dizaine de com­pa­gnies dif­fé­rentes, ce qui explique sans doute pour­quoi on voit pas­ser autant de modèles d’a­vions dif­fé­rents (si vous trou­vez un point com­mun entre le Cessna 152, le Beech 1900D et le Short Sherpa, à part d’a­voir deux ailes cha­cun, ça m’in­té­resse) pour des mis­sions qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Cet aspect est tota­le­ment occul­té et l’é­mis­sion semble trou­ver tout natu­rel que le direc­teur d’ex­ploi­ta­tion d’un gros hub de la plus grosse com­pa­gnie locale passe une par­tie de ses jour­nées à trans­por­ter des paires de chas­seurs au milieu des mon­tagnes dans un Cessna 180, un peu comme si un type qui est Largo Winch le matin deve­nait Martin Milan l’après-midi.

Mais dans l’en­semble, Flying wild Alaska est une émis­sion plus variée, plus inté­res­sante et moins arti­fi­cielle que sa prin­ci­pale concur­rente, et glo­ba­le­ment assez sym­pa à regarder.

¹ Je sais pas pour­quoi, j’ai la vague impres­sion que cette course de traî­neaux est impor­tante dans la culture locale.