Orphan black

de Graeme Manson et John Fawcett, 2013–2017, ****

Sarah est une mar­gi­nale, à moi­tié hon­nête, qui a lais­sé sa fille chez sa belle-mère depuis un an mais tente vague­ment de se reprendre. Beth est une fli­quette, sérieuse, car­rée jus­qu’à la mania­que­rie, qui a abat­tu une civile au cours d’une course-pour­suite. Logiquement, leur ren­contre devrait être une his­toire du genre « Beth arrête une petite voleuse qui essaie de four­guer un kilo de cocaïne piqué à son ex » ; mais en fait, leur unique contact se résume à « Sarah croise sur un quai de gare une femme qui lui res­semble comme une jumelle, et qui saute sous le pre­mier train ».

Au com­men­ce­ment étaient MK, hackeuse para­noïaque fin­lan­daise, et Beth, fli­quette sérieuse cana­dienne. — pho­to Temple Street Productions

Le début d’Orphan black lorgne du côté du grand clas­sique du polar ou de l’es­pion­nage : un civil sans his­toire notable se trouve embar­qué dans une affaire hale­tante. Rapidement, cepen­dant, la série tourne au thril­ler psy­cho­lo­gique : Sarah ayant pris la place de Beth doit s’in­té­grer dans un com­mis­sa­riat, prendre les affaires en cours et don­ner le change le temps de vider ses comptes en banque, tout en convain­cant sa belle-mère de la lais­ser voir sa fille. Et sur­tout, elle est confron­tée au débar­que­ment des mys­té­rieux contacts de Beth, Allison, Cosima et Katja, qui elles aus­si leur res­semblent comme des jumelles.

La nar­ra­tion est dans les bons stan­dards des séries amé­ri­caines (le Canada est en Amérique, oui ?), avec tout de même une ten­dance à un peu trop sys­té­ma­ti­ser les cliff­han­gers à la fin des épi­sodes. On peut noter le soin four­ni sur l’é­cri­ture des per­son­nages secon­daires, rela­ti­ve­ment nom­breux et variés, et les ambiances gra­phiques variées entre ban­lieues sales et grands espaces. Bien que les lieux soient fic­tifs, la série est éga­le­ment très implan­tée dans le monde contem­po­rain, avec des réfé­rences claires pour ma géné­ra­tion — comme celui qui veut faire dis­pa­raître un corps dans un lac et à qui on réplique que ça risque tou­jours de remon­ter, enfin, « t’as jamais vu Dexter ? » —, ce qui aide sans doute à s’i­den­ti­fier aux personnages.

Sarah, petite délin­quante carac­té­rielle anglaise exi­lée au Canada, et Cosima, brillante doc­to­rante cali­for­nienne ins­tal­lée au Minnesota. — pho­to Temple Street Productions

Bien enten­du, l’en­jeu majeur est la recherche des ori­gines des per­son­nages prin­ci­paux, un lot de femmes très res­sem­blantes, nées dans une période d’un mois, toutes éle­vées par des parents adop­tifs dans des lieux et des condi­tions variées, qui ont déve­lop­pé des vies radi­ca­le­ment dif­fé­rentes mais qui ont en com­mun des carac­tères butés et impul­sifs… et des pro­blèmes avec une mul­ti­na­tio­nale bos­sant sur l’ADN, des fana­tiques reli­gieux qui éli­minent des « erreurs de la nature », ou plus pro­saï­que­ment l’al­cool et les autorités.

Pour le spec­ta­teur, c’est sur­tout la démons­tra­tion de Tatiana Maslany qui impres­sionne : elle inter­prète toutes les femmes prin­ci­pales. Originaire du Saskatchewan, elle a for­cé­ment des faci­li­tés pour pas­ser de l’ac­cent anglais de Sarah à l’ac­cent amé­ri­cain « middle class » d’Alison — les deux coha­bitent au Canada. Peut-être un poil moins à l’aise avec les accents euro­péens de Katja et Helena, elle fait en revanche très, très fort au niveau des atti­tudes et des mimiques : chaque fille a sa propre démarche, son propre phra­sé, sa propre façon de regar­der les autres. En fait, Tatiana par­vient à être cré­dible dans le rôle de la coin­cée éta­su­nienne Allison se fai­sant pas­ser pour la délu­rée bri­tan­nique Sarah, avec une trace dif­fuse de celle-là par des­sus les mimiques de celle-ci : du grand art !

Alison, mère de famille amé­ri­caine, voi­sine idéale et super­fi­cielle. — pho­to Steve Wilkie

On peut évi­dem­ment regret­ter quelques cli­chés un peu trop clas­siques, le maquillage exces­sif d’Helena et sa psy­cho­pa­thie trop cari­ca­tu­rale, un cer­tain mani­chéisme sur quelques points (genre Dyad, la « vilaine mul­ti­na­tio­nale » par excel­lence), ou encore une sai­son 2 qui semble par­fois allon­ger la sauce au milieu pour tenir quatre épi­sodes entre le départ façon road-movie et le retour au fil rouge de la quête des origines.

Mais dans l’en­semble, ça reste une série tout à fait recom­man­dable, avec des per­son­nages pleins de doutes et d’am­bi­guï­tés comme on les aime, et en prime une magis­trale démons­tra­tion d’actrice.

Mise à jour le 14 août 2017 : la série est désor­mais ter­mi­née. Les sai­sons 3 et 4, comme la 2, sont un ton en-des­sous de la pre­mière et se perdent un peu dans leurs com­plots, mais res­tent tout à fait regar­dables grâce à un équi­libre assez réus­si entre polar sérieux et comé­die légère. La der­nière rehausse net­te­ment le niveau pour for­mer un bon thril­ler assez ryth­mé, et elle se boucle de manière bien trash (à la Sarah en somme), curieu­se­ment un peu trop adou­ci par un épi­logue tout rose (à la Alison).

L’ensemble forme un bon exemple de série de SF « soft » récente qui mérite d’être vue, et la pres­ta­tion de Maslany reste remar­quable de bout en bout.