If…

Il y a deux jours, Mer­cedes a pub­lié un dia­po­ra­ma illus­trant l’an­née de Lewis Hamil­ton et Nico Ros­berg, les deux pilotes de son écurie de For­mule 1, derniers en lice pour le titre mon­di­al de la dis­ci­pline (ça se jouera cette nuit). Avec, en fond sonore, une lec­ture par John Hurt du poème If… de Rud­yard Kipling.

À ce stade, vous devez logique­ment hauss­er une épaule en pen­sant un bruyant “on s’en fout”. Vous n’au­rez pas tort, d’ailleurs j’ai moi-même décou­vert ça à l’in­stant — alors que bon, la F1, ça ressem­ble quand même à un sport mécanique, donc c’est cen­sé m’intéresser.

Là où ça devient amu­sant, c’est que mon con­frère du Monde, Bruno Lesprit, nous explique :

La mar­que alle­mande a prof­ité de l’aubaine pour réalis­er un clip pro­mo­tion­nel met­tant en scène en noir et blanc la lutte entre ses deux pilotes sur fond de notes de piano avec la voix de l’acteur bri­tan­nique John Hurt réc­i­tant le célèbre poème If, de Rud­yard Kipling. On en déduit que seul le vain­queur sera « un homme, mon fils ». 

Je pense que c’est pas avec des affir­ma­tions de ce genre qu’on va arrêter de faire pass­er les jour­nal­istes sportifs pour des incultes bas de plafond.

Je vous en mets un bout, là comme ça hop, his­toire de bien comprendre :

If you can meet with Tri­umph and Disaster

and treat those two impos­tors just the same; […]

or watch the things you gave your life to, broken,

and stoop and build them up with worn-out tools;

if you can make one heap of all your winnings

and risk it on one turn of pitch-and-toss,

and lose, and start again at your beginnings

and nev­er breathe a word about your loss…

Là, je prends que les morceaux les plus explicites, mais ce long poème est extrême­ment clair là-dessus : être un homme n’est jamais une ques­tion de suc­cès, mais d’hon­neur dans l’ad­ver­sité. La grande morale de If…, c’est que peu impor­tent suc­cès et défaites, être un homme, c’est les accepter sans gloire ni honte et con­tin­uer à avancer de manière égale.

Dans ce dia­po­ra­ma, choisi soigneuse­ment pour illus­tr­er le poème qua­si­ment stro­phe par stro­phe, je pense que le mes­sage que Mer­cedes essaie de faire pass­er est un truc du genre : “on est fier de ce qu’ils ont fait, ils ont pas la grosse tête et ils bossent hon­or­able­ment, quoi qu’il arrive dimanche ce sont des hommes nos fils”.

Le type qui, après avoir vu ça, arrive à con­clure que “seul le vain­queur sera un homme, mon fils”, je ne vois que deux expli­ca­tions pos­si­bles : soit il ne com­prend pas un traître mot d’anglais (et il ferait du coup mieux d’éviter de déduire quoi que ce soit d’un poème écouté dans le texte), soit il ne com­prend rien à rien (et il ferait du coup mieux de rien écrire du tout).

On me souf­fle dans l’or­eil­lette que je suis peut-être un peu dur avec mon mal­heureux con­frère, qui a juste essayé de rac­crocher une forme de “morale sportive” à son papi­er — nonob­stant le fait que ce poème exalte le tra­vail, l’hon­neur et la réserve, et crache ouverte­ment à la gueule des vain­queurs qui la ramènent.

Peut-être.

Mais bon, y’a deux ou trois choses dans ma vie que je n’aime pas voir trahies, et If… en fait partie.

[jetpack-related-posts]

Add a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *