La French

de Cédric Jimenez, 2014, ****

Vous le savez, j’ai un immense res­pect pour le polar à la fran­çaise, celui des Melville, Cornaud, Giovanni, Verneuil ou plus récem­ment Marchal et Richet. Celui qui mélange enquête et his­toire d’hommes (et de femmes, par­fois, comme dans La femme-flic et La guerre des polices), celui qui s’im­prègne à la volée des sujets de socié­té, celui qui repose sur des grandes gueules, des dia­logues cise­lés et une ambiance dépri­mante de bout en bout.

La French ne sau­rait être mieux défi­nie qu’en ren­voyant à ce glo­rieux héri­tage. Comme Mesrine ou Les lyon­nais, il s’ins­pire de faits his­to­riques, en garde la trame glo­bale et réin­jecte une ambiance mor­bide et des per­son­nages désa­bu­sés, qui conti­nuent à agir selon leurs prin­cipes sans grandes illu­sions sur le résul­tat final – et ça tombe bien parce que nous, le résul­tat final, on le connaît : Pierre Michel a pris trois balles en 1981, Gaetano Zampa s’est sui­ci­dé en pri­son en 1984, et Le Mat (rebap­ti­sé Le Fou pour que ces couillons de Parisiens com­prennent) est deve­nu homme d’af­faires à peu près res­pec­té et sujet de roman de Giesbert.

Si Montand et Ventura, pour des rai­sons rela­ti­ve­ment connues, sont absents du cas­ting, ce n’est pas trop grave : Dujardin et Lellouche les rem­placent au pied levé, avec un beau suc­cès. Jeu de tai­seux à grandes gueules, sobrié­té de bon aloi, pré­sence irré­pro­chable, et même accent mar­seillais cor­rect pour le Normand ; la séquence wes­tern-spa­ghet­ti du film, avec un face-à-face abso­lu­ment pas his­to­rique mais mer­veilleu­se­ment ciné­ma­to­gra­phique, est pas loin du calibre de la scène du res­tau­rant de Heat. Le seul point faible de ce cas­ting, c’est Benoît Magimel, qui n’a clai­re­ment pas les épaules pour rem­plir un rôle fait pour Patrick Dewaere, qui se crée un accent ni pari­sien ni tou­lou­sain assez cho­quant et dont le jeu exa­gé­ré contraste avec l’im­pas­si­bi­li­té de ses camarades.

La réa­li­sa­tion pro­fite d’une ges­tion du rythme extrê­me­ment soi­gnée, de quelques rebon­dis­se­ments effi­caces et d’une pho­to sans his­toire mais sans fai­blesse : dans l’en­semble, les tech­ni­ciens se mettent au ser­vice de l’his­toire, sans cher­cher à se faire remar­quer, et le résul­tat est de très haute tenue.

Le scé­na­rio enfin, s’il part d’une his­toire en or, en fait par­fois un poil trop – la dépen­dance au jeu de Michel, inté­res­sante pour don­ner corps au per­son­nage, manque en revanche un peu de sub­ti­li­té. Et c’est sur­tout dans les innom­brables plans menant la Honda rouge auprès du juge que scé­na­riste et réa­li­sa­teur deviennent lourds, en créant un faux sus­pense trop long et arti­fi­ciel pour empor­ter l’adhé­sion ; comme pour Mesrine, une fin plus brève et bru­tale aurait lar­ge­ment gagné en efficacité.

L’ensemble est tout de même un très beau polar, solide, por­té par des acteurs et une ambiance superbes, et une recons­ti­tu­tion pas tout à fait his­to­rique mais suf­fi­sam­ment soi­gnée pour méri­ter notre attention.