The blacklist

de Jon Bokenkamp, depuis 2013, ****

C’est l’his­toire d’un homme qui rentre au siège du FBI et demande à voir l’as­sis­tant du direc­teur. On lui demande s’il a un ren­dez-vous ; il répond posé­ment qu’il n’en a pas et tend son pas­se­port en se conten­tant d’un « dites-lui que c’est Raymond Reddington ». Puis il pose sa valise, sa veste et son cha­peau, s’a­ge­nouille tran­quille­ment, met les mains der­rière la tête et attend que les agents armés jus­qu’aux dents qui viennent d’ap­pa­raître lui passent les menottes.

Cette scène d’in­tro­duc­tion par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie, c’est celle de The bla­ck­list, série poli­cière où un génie cri­mi­nel, introu­vable depuis vingt ans, se met bru­ta­le­ment à aider le FBI à faire tom­ber une liste noire d’autres cri­mi­nels, cer­tains tel­le­ment doués pour brouiller les pistes que les auto­ri­tés ne soup­çonnent même pas leur existence.

Reddington, toujours élégant, toujours raffiné, presque toujours calme… et jamais honnête. photo NBC
Reddington, tou­jours élé­gant, tou­jours raf­fi­né, presque tou­jours calme… et jamais hon­nête. pho­to NBC

À pre­mière vue, voi­ci donc une série poli­cière ordi­naire : à chaque épi­sode, un crime, une enquête, et à la fin le cri­mi­nel est en pri­son ou à la morgue. Hormis le fait que Reddington est sys­té­ma­ti­que­ment à l’o­ri­gine d’une enquête cri­mi­nelle pour une affaire qui, sans lui, n’au­rait pas dépas­sé la rubrique « acci­dent » ou « fait divers », rien que de très ordi­naire. On retrouve d’ailleurs toute une gale­rie de pas­sages obli­gés du genre, comme le flic ver­tueux qui se débat avec une dépen­dance, le patron bien­veillant mais droit comme la jus­tice, le scien­ti­fique infor­ma­ti­cien vague­ment aso­cial (qui rem­place, dans les séries modernes, le tra­di­tion­nel méde­cin légiste), et bien sûr la fli­quette débu­tante qui débarque au milieu du com­mis­sa­riat. La réa­li­sa­tion est effi­cace mais rare­ment flam­boyante, la pho­to est banale, la nar­ra­tion est cor­recte quoique par­fois inégale – cer­tains épi­sodes sont un peu délayés pour arri­ver à 42 minutes.

The bla­ck­list se dis­tingue tout de même par deux points : d’a­bord, la débu­tante est là parce que le héros a exi­gé sa pré­sence, et leur rela­tion trouble oscille entre pater­na­lisme, hos­ti­li­té, mani­pu­la­tion men­tale et sen­ti­men­tale, affec­tion, atten­tion, col­la­bo­ra­tion voire com­pli­ci­té par­fois, et méfiance tou­jours. On ne découvre que peu à peu pour­quoi Reddington s’in­té­resse à elle et, au bout de deux sai­sons, on est encore loin de com­prendre les tenants et abou­tis­sants de cette rela­tion. Ensuite, il appa­raît bien vite que Reddington, loin d’ai­der gra­tui­te­ment le FBI ou de sim­ple­ment l’u­ti­li­ser pour éli­mi­ner la concur­rence, a son propre pro­jet, sans doute ambi­tieux et en tout cas lon­gue­ment réflé­chi, et l’ob­ser­ver manœu­vrer dans l’ombre est un cer­tain délice.

Lizzie, je ne suis pas ton père. Mais c'est compliqué quand même. photo NBC
Lizzie, je ne suis pas ton père. Mais c’est com­pli­qué quand même. pho­to NBC

Cela n’empêche pas cer­taines répé­ti­tions un peu lourdes, cer­tains rebon­dis­se­ments télé­pho­nés, et quelques épi­sodes démarrent sur des fon­da­tions fran­che­ment foi­reuses — sans que ça soit for­cé­ment les pires : l’in­ter­ven­tion du FBI en Ouzbékistan ferait mou­rir de rire n’im­porte quel étu­diant en droit inter­na­tio­nal, mais les qua­rante minutes de poli­tique-fic­tion qui suivent sont un des meilleurs pas­sages de la série.

L’ensemble sédui­ra sans for­cer les ama­teurs de séries poli­cières, sans pour autant sor­tir réel­le­ment des conven­tions du genre pour séduire un public plus large ; ça ne mar­que­ra peut-être pas l’his­toire, mais c’est assez réus­si pour tou­cher sa cible.