Le combat ordinaire

de Laurent Tuel, 2014, ****

Vous le savez, j’aime bien les adap­ta­tions qui prennent quelques liber­tés avec le maté­riau ori­gi­nal, qui trouvent leur propre ton et leur façon d’être et de racon­ter. C’est ma prin­ci­pale réserve vis à vis de ce Combat ordi­naire : le film semble avoir uti­li­sé la BD épo­nyme comme sto­ry-board, repre­nant plan par plan de larges mor­ceaux de l’his­toire et ligne par ligne la plu­part des dialogues.

C'est vrai qu'elle est bien, sa patronne. Mais il est bien aussi en photographe. photo Haut et Court
C’est vrai qu’elle est bien, sa patronne. Mais il est aus­si pas mal en pho­to­graphe pau­mé, fina­le­ment. pho­to Haut et Court

La réa­li­sa­tion fait son bou­lot sans grande ori­gi­na­li­té ; on peut notam­ment remar­quer que la pho­to est géné­ra­le­ment assez ordi­naire, en dehors de quelques plans plus ins­pi­rés, ce qui est dom­mage pour un film par­lant d’un pho­to­graphe. Les acteurs font un assez bon tra­vail (Maud Wyler donne une vraie pré­sence à Émilie, inex­pli­ca­ble­ment renom­mée Emily dans le film, et Nicolas Duvauchelle aban­donne enfin les rôles de beau gosse / bad boy de ser­vice pour se consa­crer à un vrai per­son­nage) même si l’on note quelques into­na­tions arti­fi­cielles, et l’en­semble du film reprend effi­ca­ce­ment les thé­ma­tiques atten­dues : tra­vail, famille, angoisses, fai­blesse, mes­qui­ne­rie, gran­deur et géné­ro­si­té, amour et res­pect des autres… Toutes ces petites choses qui font de chaque vie un com­bat contre les autres, contre soi et sur­tout contre ses peurs, ses rêves et ses pulsions.

La solitude, fidèle amie de Marco quand la fuite fait partie du combat. photo Haut et Court
La soli­tude, fidèle amie de Marco quand la fuite fait par­tie du com­bat. pho­to Haut et Court

Mais dans l’en­semble, Le com­bat ordi­naire n’ar­rive jamais à s’é­man­ci­per de ses ori­gines, sa filia­tion avec l’œuvre de Larcenet deve­nant un car­can dont le film et en par­ti­cu­lier les dia­logues peinent à s’ex­tir­per. Or, pour quelques scènes que l’on est heu­reux de voir « en vrai », il y en a trop qui auraient méri­té une vraie réécri­ture cinématographique.

C’est d’au­tant plus dom­mage que cer­tains aspects impor­tants de la bande des­si­née ont été modi­fiés : les chas­seurs, les autres pho­to­graphes de l’ex­po­si­tion (trois connards égo­cen­triques qui font réflé­chir sur le rap­port entre auteur et œuvre), les élec­tions de 2007 ou encore la confron­ta­tion entre Pablo et les connards de droite (qui donne un écho par­ti­cu­lier à l’his­toire de Bastounet) sont por­tés dis­pa­rus. Plus remar­quable, le cut final est très proche mais a une tona­li­té radi­ca­le­ment dif­fé­rente de celui de Ce qui est pré­cieux (troi­sième volume de la BD), don­nant à pen­ser qu’Emily a convain­cu Marco alors que dans l’œuvre ori­gi­nale, Émilie a fait un pari dans son dos ; et Planter des clous, le der­nier tome qui donne tout leur relief aux trois pré­cé­dents, n’a glo­ba­le­ment pas été conser­vé, même si cer­tains élé­ments essen­tiels de celui-ci ont été élé­gam­ment réin­té­grés aux trois par­ties conser­vées. Bref, il y a tout de même eu un vrai tra­vail de réécri­ture : pour­quoi dès lors ne pas avoir fait un vrai film auto­nome, pour­quoi avoir conser­vé une fidé­li­té reli­gieuse et sou­vent arti­fi­cielle aux scènes d’origine ?

Paysage industriel au milieu de la nature, les joies de Lorient… photo Haut et Court
Paysage indus­triel au milieu de la nature, les joies de Lorient… pho­to Haut et Court

Bien enten­du, cela ne fait pas un mau­vais film ; mais celui-ci peine un peu à trou­ver sa propre voix. Sans doute ceux qui ne connaissent pas la bande des­si­née seront-ils plus aisé­ment séduits que ceux qui, comme moi, connaissent tous les dia­logues dès la pre­mière ligne énon­cée, mais je ne peux m’empêcher de me dire qu’une adap­ta­tion un peu plus libre aurait pu gagner en force.