Nuageux, avec giboulées de lapilli

Ayé, les avions reprennent l’air, on peut enfin se dépla­cer, quel sou­la­ge­ment !, vous vous ren­dez pas compte, on était à deux doigts de… de quoi au fait ? Ah oui, à deux doigts de ren­trer en bateau. Et le bateau, c’est hor­rible, on sait jamais com­bien de temps ça prend avec cette manie de comp­ter en milles et de pas pou­voir dire sim­ple­ment où on est.

Donc, on est enfin ren­trés. On va pou­voir cher­cher les res­pon­sables et les faire payer.

Hein ?, m’é­crie-je d’un œil dis­trait, réveillé par une alerte de mon détec­teur à incongruité.

Res­pon­sable.

Érup­tion volcanique.

Respo­nable <=> érup­tion volcanique.

Ah.

Donc, appa­rem­ment, les res­pon­sables seraient les com­pa­gnies aériennes, et éven­tuel­le­ment l’OA­CI et ses branches natio­nales qui ont déci­dé de fer­mer les routes aériennes concer­nées par le fameux nuage.

Bien bien bien…

Les com­pa­gnies aériennes sont-elles res­pon­sables lors­qu’un espace aérien est fer­mé ? L’OACI est-elle res­pon­sable lors­qu’elle applique des règles de sécu­ri­té ? Ces règles sont-elles excessives ?

Je n’i­rai pas jus­qu’à vous deman­der d’i­ma­gi­ner ce qui se serait pas­sé si une poi­gnée d’a­vions avaient dû se poser en pla­né avec la dou­ceur d’un SEM à l’ap­pon­tage, tur­bines et ailes engluées comme une mouette bre­tonne. Non non, je ne m’a­bais­se­rai pas à cela — ceux que ça amuse pour­ront tout de même pous­ser l’exer­cice jus­qu’à envi­sa­ger un crash, c’est encore plus édifiant.

Il se trouve juste qu’on a des règles de sécu­ri­té, qui disent gros­so modo ceci : on ne met pas une tur­bine dans un nuage de par­ti­cules gluantes, ou alors avec par­ci­mo­nie et à dis­tance rai­son­nable d’un ter­rain d’at­ter­ris­sage d’ur­gence ouvert aux pla­neurs lourds.

Au pas­sage, oui, les par­ti­cules sont vrai­ment gluantes. Per­met­tez-moi de par­ta­ger avec vous ce docu­ment issu d’une série qu’il faut que je trouve le temps de trier depuis un mois :

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Ça, c’est le résul­tat d’un pas­sage de cinq secondes dans un nuage de poudre. Ima­gi­nez la même chose, mais sur des aubes de réac­teurs pen­dant quatre heures de vol, et vous com­pren­drez que d’au­cuns soient modé­ré­ment ras­su­rés, même si un nuage éti­ré sur 5000 bornes est pro­ba­ble­ment moins dense.

Donc, l’OA­CI a appli­qué des règles, les com­pa­gnies aériennes aus­si. Sont-elles res­pon­sables de cela ? Oui, et d’ailleurs on les eût sans nul doute tenues pour res­pon­sables de tout acci­dent sur­ve­nu sans mettre en place ces prin­cipes de sécu­ri­té… Donc, res­pon­sables de l’ap­pli­ca­tion des règles, oui, mais cela ne peut leur être repro­ché : les atta­quer, c’est atta­quer le domi­no qui vous écrase les pieds plu­tôt que le bon­homme qui a ren­ver­sé le pre­mier domino.

À qui donc est-il logique de deman­der des indem­ni­sa­tions ? Ben… au res­pon­sable de la cause ini­tiale de l’ar­rêt des vols, non ? Autre­ment dit, à celui qui a cau­sé le nuage. C’est un vol­can. Bien. Qui allume les volcans ?

Aïe, ça va être dur de le retrou­ver. Y’a plein de gens qui ont essayé de récla­mer des comptes à Dieu, mais encore faut-il y croire, et vues les indem­ni­tés obte­nues dans de pareils cas je com­mence à le croire insolvable.

Une érup­tion vol­ca­nique, d’a­près mes maigres notions de droit, ça a tout d’un cas de force majeure, rete­nez bien ces mots. Ce n’est de la res­pon­sa­bi­li­té d’au­cune des par­ties (ni le client blo­qué, ni la com­pa­gnie, ni l’OA­CI n’y peuvent rien), c’est impré­vi­sible (enfin, à quelques heures près) et c’est irrésistible.

De mémoire, il me semble bien que le droit rejoint la logique. Pas de fau­tif, pas de res­pon­sable, pas d’in­dem­ni­sa­tion de prin­cipe. Cha­cun pour sa pomme, on sup­porte soi-même ce genre de cir­cons­tances — ce qui n’in­ter­dit pas une cer­taine mutua­li­sa­tion de la situa­tion, comme de se réunir à plu­sieurs pour louer une chambre d’hô­tel moins cher.

Seule indem­ni­sa­tion pos­sible : les assu­rances, qui ont plein de tables de cal­cul pour trans­for­mer le hasard en sta­tis­tiques et qui acceptent d’in­dem­ni­ser des évé­ne­ments de ce genre. Mais ni Air France-KLM, ni l’OA­CI, ni l’É­tat fran­çais, ni les com­pa­gnies de voyage ne doivent rien au pékin coin­cé à Bali : elles subissent la situa­tion tout autant que lui.

Par ailleurs, cela rejoint une remarque que je me fais de plus en plus sou­vent depuis quelque temps : pour­quoi est-on autant imper­méable au moindre impré­vu ? Depuis quelques temps, j’ai l’im­pres­sion qu’on ne sup­porte plus que quelque chose ne soit pas par­fai­te­ment contrôlé.

Soyons hon­nête : arri­ver à contrô­ler ne serait-ce que ce qu’on va bouf­fer le len­de­main, c’est un phé­no­mène extrê­me­ment récent dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té — et même encore lar­ge­ment mar­gi­nal aujourd’­hui. Il y a seule­ment quelques siècles, tous les bipèdes étaient chaque année à la mer­ci des récoltes et de la chasse, et aujourd’­hui encore (et même si on refuse géné­ra­le­ment d’y pen­ser), on prend à chaque tra­ver­sée de rue le pari qu’au­cun cré­tin de cais­seux ne grille­ra le feu — certes, en l’es­pèce, il y a un res­pon­sable clai­re­ment identifiable.

Cepen­dant, voi­là que si un avion ne décolle pas à l’heure pré­vue, c’est un drame affreux. Être coin­cé quelque part et devoir s’en remettre à la patience ou à un autre moyen de trans­port que celui pré­vu, c’est la quin­tes­sence de l’horreur.

Bande de cho­chottes, va.

Je ne suis peut-être pas un très grand voya­geur, mais je n’ai jamais fait un voyage qui ait res­pec­té par­fai­te­ment le pro­gramme pré­vu en tout temps. Le plus blin­dé niveau orga­ni­sa­tion était sans doute le détour par Lis­bonne orga­ni­sé par Pana­so­nic l’é­té der­nier, et la tête du chauf­feur de bus le pre­mier soir indi­quait clai­re­ment qu’il avait espé­ré être cou­ché à l’heure où nous sommes sor­tis du res­tau­rant. Dans les séjours que j’ai pu faire, je ne me suis jamais vrai­ment inté­res­sé au plan­ning, parce que voi­là : un plan­ning, ça ne tient jamais. Par exemple, il n’é­tait pas pré­vu qu’on reprenne l’a­vion en plein milieu de semaine pour sur­vo­ler un vol­can, le mois der­nier en Islande (mais oui, je vais trier ces pho­tos un jour, ce sera juste peut-être pas cette année).

Une bonne orga­ni­sa­tion est celle qui sur­vit en sou­plesse à des impré­vus rai­son­nables (du style Untel ne veut pas faire de traî­neau, mais veut plu­tôt par­tir skier sur un gla­cier). Mais on ne peut pas exi­ger que tout suive exac­te­ment les prévisions.

Un voyage, par défi­ni­tion, est le moment où l’on sort de l’u­ni­vers cadré qu’on connaît suf­fi­sam­ment pour réduire à qua­si-néant le risque d’im­pré­vu. Dans la vie en géné­ral, mais en voyage plus par­ti­cu­liè­re­ment, on doit savoir un truc tout con : il peut se pas­ser des choses qu’on ne connaît et qu’on ne maî­trise pas. Al mak­toub, des­ti­née mys­té­rieuse, erreur déter­mi­niste, voies impé­né­trables de Qui-vous-savez, hasard, entro­pie, on appelle ça comme on veut, mais y’a des trucs, ben faut faire avec : on sait jamais ce qui va nous tom­ber sur le coin de la gueule.

Et si quel­qu’un est inca­pable d’a­va­ler cette réa­li­té, il ferait mieux de se cogner la tête contre les murs que de mena­cer une com­pa­gnie aérienne. Ça sera pas plus utile, mais au moins ça fera pas chier le monde.