Au delà des cimes

de Remy Tezier, 2006 (télé) ou 2008 (ciné), ****

Voilà un film qui m’a posé un lapin. À sa sor­tie, il y a un an et demi (la pro­duc­tion a com­men­cé en 2006 pour France 5, la déci­sion de le pro­duire au cinoche date de 2008 et la sor­tie de mars 2009), la concur­rence et le retard m’a­vaient fait voir La vague (qui en était à sa troi­sième semaine), L’enquête (raté la semaine pré­cé­dente) et The cha­ser, me disant que j’al­lais regar­der Destivelle la semaine d’a­près. Mal m’en prit : ces blai­reaux de cinoches pari­siens, convain­cus que ledit film n’in­té­res­se­rait per­sonne, l’on fait sau­ter dès le mer­cre­di sui­vant — alors que, curieu­se­ment, les ciné­mas gre­no­blois l’ont pas­sé sans désem­plir pen­dant un mois.

Grâce à un ami qui, dira-t-on, a ache­té le DVD, j’ai enfin pu rat­tra­per mon retard, inex­cu­sable étant don­né mon pas­sif dans les Alpes (j’é­tais mon­té à 3000 à dix ans, m’a rap­pe­lé mon pater­nel y’a pas long­temps, même si per­son­nel­le­ment j’en ai aucun sou­ve­nir vu que c’est une époque où je me fai­sais quinze bornes par jour à 2000 m et donc c’é­tait nor­mal). Donc, pas­sons au film, si vous le vou­lez bien.

Le film d’es­ca­lade est un grand clas­sique, né dans les années 80 avec La vie au bout des doigts, axé sur le phy­sique avan­ta­geux de Patrick Edlinger. Le film mar­qua tant et si bien qu’on en retrouve des bouts jusque dans un film de guerre fran­çais de l’é­poque.

Vingt ans plus tard, c’est Catherine Destivelle, autre star immor­telle de l’es­ca­lade, qui sert de pivot à un nou­veau film. Forcément, celui-ci sera fort dif­fé­rent des réfé­rences du milieu : Catherine a le même âge que Patrick, et si celui-ci a tour­né ses images les plus connues à une époque bohème et céli­ba­taire, elle est aujourd’­hui comme lui qua­dra­gé­naire et mère de famille — et bien loin de la grim­peuse adepte de per­for­mances qu’elle était elle aus­si à son appa­ri­tion médiatique.

Au delà des cimes est donc assez pré­ci­sé­ment l’an­ti­thèse des films de grimpe des années 80. Ceux-ci met­taient en avant la per­for­mance pure, l’en­ga­ge­ment, la prise de risque, à tra­vers les esca­lades en solo inté­gral ou l’al­pi­nisme en soli­taire (et si c’est une hiver­nale en face nord, c’est encore mieux) ; celui-là appuie sur l’autre aspect, sou­vent oublié, de l’es­ca­lade et de l’al­pi­nisme, à savoir le jeu d’équipe.

Il suit donc trois ascen­sions, déli­cates mais tout à fait pos­sibles, l’ob­jec­tif étant de se faire plai­sir sans dégoû­ter per­sonne (« per­son­nel­le­ment, si j’en bave trop, je me fais pas plai­sir »). Deux d’es­ca­lade de roc (Grand Capucin et Grépon), une d’al­pi­nisme gla­ciaire (Aiguille Verte). Dans les trois cas, c’est sur la rela­tion humaine, avec son ancienne élève, sa sœur ben­ja­mine ou ses amis de longue date, que l’ac­cent est mis. L’escalade est le seul sport indi­vi­duel où on doit en per­ma­nence com­po­ser avec un tiers¹, et pas qu’un peu puisque qu’on place lit­té­ra­le­ment sa vie entre les mains d’un autre — Ghusse vous le dira : si on tombe pas, c’est qu’on grimpe pas. Et c’est ce lien entre grimpeur(s) et assureur(s) qui est omni­pré­sent dans l’œuvre, qui com­mence d’ailleurs par un joli dévis­sage en règle assor­ti d’un « woh putain ».

D’ailleurs, on ne man­que­ra pas quelques vannes de grim­peurs, en par­ti­cu­lier à la fin entre les deux sexa­gé­naires qui font le cou­loir de l’Aiguille Verte et qui passent la mon­tée à jacas­ser comme de vieilles pies.

Après, le film ne passe pas à côté de quelques élé­ments incon­tour­nables du docu­men­taire de mon­tagne. Les pay­sages inter­mi­nables, déserts, avec un soleil rasant (Thierry Machado, habi­tué des tour­nages en condi­tions déli­cates, s’en est don­né à cœur joie) ; les gros vides ver­ti­caux et vague­ment ver­ti­gi­neux ; les gros plans sur les doigts qui caressent le rocher à la recherche aveugle d’un grat­ton à peine visible, ou les visages en plein effort…

On n’é­vite pas non plus l’é­cueil du docu­men­taire brut de décof­frage, avec cer­tains dia­logues dans les­quels les grim­peurs se recon­naî­tront à coup sûr mais qui pour­ront lais­ser froids nombre de ter­riens — ah oui, les bananes séchées, à la longue, c’est dégueu, c’est impor­tant de le savoir.

Mais dans l’en­semble, c’est un vrai film sur la beau­té de cette acti­vi­té un peu bizarre qui consiste à grim­per par­tout, que les gosses adorent (notam­ment pour le plai­sir de faire peur à Maman) mais que la plu­part des gens aban­donnent quand ils prennent conscience du risque. Un peu d’ef­fort phy­sique, un peu de pho­to, beau­coup d’hu­main, c’est la recette pour un bon film pour pas­sion­nés, qui pour­rait cepen­dant par­ler assez peu au béotien.

¹ Mon esprit cynique l’op­pose en cela au foot, seul sport d’é­quipe où tout le monde joue solo, mais c’est mes­quin : un beau foot d’é­quipe, c’est presque aus­si sym­pa qu’un beau rug­by d’é­quipe — c’est juste beau­coup trop rare.