Incompétence

Vous met­tez deux Verts ensemble, au bout de dix minutes, vous avez trois courants.

Dic­ton écologiste.

Ces der­niers temps, les Verts ont l’air de s’être cal­més. En fait, non seule­ment ils ont arrê­té de se tirer dans les pattes en public, mais ils ont même réus­si à s’u­nir avec Europe Éco­lo­gie. Et la cam­pagne interne pour l’é­lec­tion pri­maire paraît pour l’heure rela­ti­ve­ment propre.

Rela­ti­ve­ment.

Déjà, il n’y a que deux can­di­dats dans tous les son­dages, alors que cinq se sont annon­cés. Hulot-Joly, Joly-Hulot. Il est vrai que Ben­zaïd, Lhomme et Stoll sont infi­ni­ment moins connus : Joly et Hulot sont célèbres, eux, et mes confrères aiment mieux par­ler de gens célèbres, ça rap­porte plus.

Mais le truc qui m’é­tonne vrai­ment, ces der­niers temps, c’est la répé­ti­tion d’une accu­sa­tion d’in­com­pé­tence por­tée contre Hulot. En gros : il n’y connaî­trait rien, serait un éco­lo­giste de la vingt-cin­quième heure, aurait soi­gneu­se­ment pour­ri la nature avant de retour­ner sa veste et aurait décou­vert le nucléaire à Fukushima.

Ah.

Certes.

Pre­mière chose : c’est pas peut-être un peu le cas de Joly, aus­si ? Elle est dépu­tée euro­péenne Europe Éco­lo­gie, mais avant, elle était quoi, déjà ? Juge, puis poli­tique appa­ren­tée MoDem. Sa convic­tion éco­lo­giste est peut-être ancienne, je ne la connais pas depuis assez long­temps pour juger ; mais elle n’est mani­feste que depuis 2008. À l’é­poque, Hulot avait déjà fait le tour des poli­ti­ciens fran­çais pour leur faire signer son “pacte éco­lo­gique”, qu’on a bien pris dans le cul depuis mais c’est un autre débat, et ça fai­sait dix ans qu’il répé­tait çà et là qu’il fal­lait pro­té­ger la nature.

Joly, jus­qu’à récem­ment, c’é­tait avant tout l’ad­mi­rable fille natu­relle d’E­liot Ness et d’un pitt-bull, qui avait remon­té les réseaux d’Elf-Gabon et s’é­tait offert la peau d’un pré­sident du Conseil consti­tu­tion­nel. Un bilan remar­quable pour lequel j’ai per­son­nel­le­ment un res­pect sans borne, mais ça n’en fai­sait cer­tai­ne­ment pas la can­di­date dési­gnée d’un par­ti écologiste.

L’en­ga­ge­ment éco­lo de Hulot, pour sa part, a tou­jours été fluc­tuent. Une fois n’est pas cou­tume, je vais citer un slo­gan publi­ci­taire : l’é­mer­veille­ment est le pre­mier pas vers le res­pect. Je crois que, plu­tôt que la phi­lo­so­phie des émis­sions de TF1, ça résume assez bien l’é­tat d’es­prit du bon­homme : pas­sion­né de sports extrêmes, la nature lui en mis plein les yeux quand il a fait du raf­ting sur l’O­ka­van­go, par­ti­ci­pé au Paris-Dakar, tra­ver­sé l’Arc­tique en ULM ou grim­pé avec Edlin­ger et Patis­sier. Il a mis quelques années à com­prendre qu’on pour­ris­sait copieu­se­ment la pla­nète, et a évo­lué petit à petit de “je m’é­clate dans la nature” à “faut pro­té­ger la nature si on veut pou­voir conti­nuer à s’é­cla­ter dedans”. Au pas­sage, ça ne l’a pas empê­ché de conti­nuer à faire des trucs légè­re­ment pol­luants comme un petit tour en Su-27 et en MiG-25.

Les éco­los tra­di­tion­nels ne peuvent pas blai­rer Hulot. Ils ne lui par­donnent pas de ne pas être un éco­lo “his­to­rique”, d’a­voir tou­ché des bud­gets de Rhône-Pou­lenc et L’O­réal, d’a­voir pas­sé sa jeu­nesse en avion, d’a­voir fait un Dakar (en 1980, y’a pas de pres­crip­tion en droit éco­lo­gique ?… ‑_-), d’a­voir fait confiance aux poli­ti­ciens qui avaient signé son pacte éco­lo la main sur le cœur (ça, j’a­voue que j’ai moi-même du mal à l’a­va­ler), d’a­voir été pote avec Chi­rac, de ne pas avoir tapé sur l’éner­gie nucléaire dès les années 60 et de ne pas vou­loir se posi­tion­ner sur une ligne gauche-droite.

À l’in­verse, ils admirent l’in­cor­rup­ti­bi­li­té de Joly et son agres­si­vi­té dans l’af­faire Elf, oubliant qu’elle ne s’est nul­le­ment atta­quée au pétro­lier pour des rai­sons éco­lo­giques, mais parce que c’é­tait son métier de juge d’ins­truc­tion et qu’elle enten­dait faire le jour sur les détour­ne­ments de fonds et la cor­rup­tion qui carac­té­ri­saient la poli­tique afri­caine de l’entreprise.

J’ai sur­tout du mal à com­prendre pour­quoi la vieille garde du par­ti a ain­si ten­dance à pré­fé­rer Joly, dont le dis­cours éco­lo est fina­le­ment plus récent, quoique plus cohé­rent, que celui d’Hu­lot, et acceptent ain­si que deux can­di­dats média­tiques et sor­tis de nulle part repré­sentent le par­ti, à la place des vrais his­to­riques comme Waech­ter, Lipietz, Mamère, Cochet ou Voy­net par exemple. Fina­le­ment, ils admettent que la forme, le dis­cours, le can­di­dat connu et appré­cié sont plus impor­tants que le fond, le pro­gramme et la fidé­li­té ; fina­le­ment, ils se laissent eux-mêmes cor­rompre par le charme des can­di­dats. Mais bref.

Je pense, pour ma part, que Hulot est une chance pour Europe Éco­lo­gie-Les Verts et pour l’en­semble des per­sonnes vague­ment concer­nées par l’é­co­lo­gie — soit approxi­ma­ti­ve­ment 100 % de la popu­la­tion, même ceux qui n’en sont pas conscients.

Une chance parce que Hulot est popu­laire, et fera rien que parce qu’il y a sa tête sur l’af­fiche un score à faire pâlir d’en­vie Mamère et Voy­net réunis. Hulot, je pense, a une vraie chance de pas­ser, ce qu’au­cun can­di­dat éco­lo n’a pu dire jusqu’alors.

Une chance, parce que Hulot n’est pas dog­ma­tique. Oui, il a par­ti­ci­pé à la des­truc­tion de la pla­nète, comme nous tous mais à une échelle supé­rieure (vivent le MiG-25 et le Cata­li­na). Non, il n’est pas construit selon les dogmes éco­los. Mais du coup, il peut se mettre à la place du pékin moyen, pour qui aban­don­ner le nucléaire signi­fie avant tout une hausse du prix de l’élec­tri­ci­té, et pour qui ne pas exploi­ter le gaz de schiste implique de lais­ser explo­ser le tarif du pétrole. Hulot peut chan­ger d’a­vis ; il a donc peut-être plus de capa­ci­tés à par­ler à quel­qu’un qui pour­rait faire de même qu’un Waech­ter qui, pétri de convic­tions depuis son plus jeune âge, a tôt fait de pas­ser pour un illu­mi­né natu­ra­liste. Pour convaincre quel­qu’un, “j’ai fait comme toi” est une meilleure intro­duc­tion que “j’en savais plus à vingt ans que toi aujourd’hui”.

Une chance encore, parce que Hulot est un homme de com­mu­ni­ca­tion, à défaut de convic­tions arrê­tées. Ça rejoint un peu le point pré­cé­dent : il a une grande capa­ci­té à par­ler au con moyen. C’é­tait la grande force du Syn­drôme du Tita­nic, qui s’a­dres­sait non au convain­cu, mais au citoyen lamb­da d’un pays pri­vi­lé­gié, et lui pré­sen­tait en vrac les réflexions d’un type comme lui, qui avait peu à peu pris conscience que son mode de vie n’é­tait pas pérenne.

Une chance enfin, parce que Hulot est incompétent.

Ah oui, là, ça mérite une explication.

Cela fait des lustres qu’on élit des hommes poli­tiques com­pé­tents, ou cen­sés l’être. Qui, en tout cas, sup­posent eux-mêmes l’être et avoir tout com­pris. On en a l’exemple en ce moment même, avec un type qui pense tout savoir, avoir rai­son sur tout et qui du coup veut tout contrô­ler lui-même.

Le bilan, c’est qu’on passe d’une convic­tion à l’autre, que les mul­tiples repré­sen­tants que nous avons élus ferment leur gueule ou que leur oppo­si­tion dégé­nère en affron­te­ment ouvert entre exé­cu­tif et légis­la­tif, et que ça ne marche pas parce que le pré­sident qu’on élit ne peut fina­le­ment pas tout maî­tri­ser tout seul — si y’a une tren­taine de ministre et pas loin d’un mil­lier de par­le­men­taires, y’a une raison.

Hulot a une volon­té éco­lo, et peu de com­pé­tences tech­niques. Il n’a pas fait l’E­NA (je crois qu’il a un CAP de pho­to­gra­phie, mais c’est même pas sûr, fau­drait que je relise Les che­mins de tra­verse). Il n’a pas de diplôme de sciences po, ni de socio­lo­gie, ni d’é­co­no­mie. Il n’a pas de com­pé­tences, et n’a pas la pré­ten­tion d’en avoir.

On peut du coup sup­po­ser qu’un Hulot pré­sident s’en­tou­re­rait de gens de bonne volon­té, peut-être même eux-mêmes com­pé­tents, au lieu de s’en­tou­rer d’une garde rap­pro­chée de fidèles qui ne bougent pas un sour­cil. On peut espé­rer voir un vrai éco­no­miste, un vrai socio­logue et un vrai éco­lo­giste ten­ter de gou­ver­ner ensemble, plu­tôt que des amis du pré­sident choi­sis pour ne pas lui faire d’ombre.

On me dira que je rêve peut-être un peu, et qu’il est pos­sible qu’un Hulot fasse comme n’im­porte quel pré­sident pré­cé­dent : “yes, bon­nard, après moi le déluge”. On me dira aus­si qu’on peut pen­ser Joly, dont l’in­tel­li­gence n’est plus à démon­trer et qui n’est pas non plus éco­no­miste ni socio­logue, tout aus­si sus­cep­tible de bien s’en­tou­rer. Je n’ai rien à redire contre ça : ce billet n’est pas contre Joly, pour qui il est tout à fait pos­sible que je vote si elle est can­di­date l’an prochain.

Mais démo­lir Hulot sur la base de son par­cours aléa­toire, de ses posi­tions variables et de ses com­pé­tences limi­tées, c’est à mon sens lui faire un faux pro­cès. C’est lui repro­cher de n’être qu’un homme, alors que des géné­ra­tions de sur­hommes ultra-com­pé­tents à l’É­ly­sée ont démon­tré leur inef­fi­ca­ci­té générale.