The chronicles of Narnia

de Clive Lewis, 1950–1956, ***

Le pre­mier jour, au début du XXè siècle, Digo­ry et Pol­ly uti­lisent les anneaux trou­vés chez leur oncle magi­cien — une grande per­sonnes qui, comme toutes les grandes per­sonnes qui se mêlent de magie, n’a aucune idée de ce qu’il fait. Ils tra­versent le bois entre les mondes, puis arrivent à Nar­nia, où Aslan est occu­pé à ajou­ter les choses néces­saires — et il faut de tout pour faire un monde. Ils arrivent aus­si à Charn, monde détruit où seule sub­siste la reine Jadis, qu’ils amènent à Nar­nia et qui y régne­ra mille ans.

Mille ans plus tard, donc, en pleine bataille d’An­gle­terre, les quatre Peven­sie (Peter, Susan, Edmund et Lucy) débarquent acci­den­tel­le­ment par le fond d’une pen­de­rie. Ils mettent fin au règne de Jadis et prennent le trône. Ils reviennent un autre mil­lé­naire après, en pleine Seconde guerre mon­diale, et portent secours au prince Cas­pian, héri­tier du trône, pour ren­ver­ser son usur­pa­teur d’oncle.

Quelques années passent sur Nar­nia, on est tou­jours en pleine guerre chez nous, et les deux plus jeunes Peven­sie et leur cou­sin Eus­tace sont aspi­rés à tra­vers une marine et arrivent sur le bateau de Cas­pian, par­ti explo­rer la mer et retrou­ver les nobles chas­sés par son oncle. À la géné­ra­tion sui­vante, la guerre n’est tou­jours pas finie, et Eus­tace retourne sur Nar­nia en pas­sant une porte avec Jill, et ils vont retrou­ver le fils de Cas­pian, héri­tier du trône enle­vé par une sorcière.

Enfin, les Alliés ont vain­cu l’Axe, il s’est écou­lé deux cents ans, et Eus­tace et Jill reviennent à Nar­nia pour aider le der­nier roi, dans un monde désor­mais gou­ver­né par des enva­his­seurs du Sud avec com­pli­ci­té d’un singe et d’un faux Aslan.

En sept tomes, Clive Lewis nous fait l’his­toire d’un monde, de la genèse à l’a­po­ca­lypse. Il obéit à quelques pas­sages obli­gés, comme le sacri­fice du repré­sen­tant de Dieu sur Terre pour sau­ver une âme per­due, l’ar­ri­vée de faux dieux et de la mécroyance, le pas­sage d’un anté­christ, tout ça. Ceci étant, le côté reli­gieux des Chro­nicles of Nar­nia n’est pas aus­si ter­rible que ce à quoi je m’at­ten­dais après en avoir enten­du par­ler : okay, Aslan est à la fois Dieu et Jésus, okay, on retrouve pas mal de bases divines en par­ti­cu­lier dans The last bat­tle, mais fran­che­ment, ça passe. Et si c’est moi qui le dis, c’est que ceux qui en font une cri­tique majeure de la série sont vrai­ment des chieurs.

D’un autre côté, une des grandes richesses des bou­quins vient des bes­tioles, qui parlent et pensent mais conservent un carac­tère très ani­mal — au contraire de ce qui se passe dans Yaka­ri, où elles ont des carac­tères plus humains. Ain­si, un chien a beau par­ler, il demeure un qua­dru­pède sus­cep­tible de chas­ser sa queue ou de s’é­touf­fer en essayant de mordre une chute d’eau, et il conserve son carac­tère très fidèle.

Ce qui m’a un peu déran­gé, en revanche, c’est l’op­po­si­tion sys­té­ma­tique entre Nar­nia, au Nord, plein de gens for­mi­dables blonds à la peau clairs, de jus­tice et de bon­té, et Calor­men, au Sud, plein de basa­nés bruns, de trai­trise, de pré­ten­tion et de sacri­fices humains. Je sais pas pour­quoi, j’ai pas pu m’empêcher d’y voir une légère trace de racisme, même si au moins deux per­son­nages de Calor­men sont plu­tôt bons (Ara­vis, future reine de Nar­nia, est très sym­pa mal­gré son carac­tère imbu­vable, et Emeth, enva­his­seur de son état, est droit, franc et aller­gique à la traitrise).

Et ce qui m’a un peu mis hors de moi, en par­ti­cu­lier dans The sil­ver chair, c’est la façon dont l’au­teur tourne sys­té­ma­ti­que­ment en ridi­cule toute école qui aurait des vel­léi­tés de ne pas tor­tu­rer ses élèves. Autant je suis le pre­mier à pen­ser qu’on a peut-être été un peu loin dans l’autre sens, autant là, Clive campe sur des posi­tions rétro­grades même dans les années 50 — et ça colle assez bien avec la façon dont, à Nar­nia, on recon­naît les nobles à la pure­té de leur sang et tout va for­cé­ment bien tant que la lignée de sou­ve­rains de droit divin est là.

L’autre truc qui m’a un peu gêné, c’est le trai­te­ment très pué­ril de ces his­toires. Bien sûr, Clive sou­hai­tait écrire pour les enfants, mais était-il néces­saire de leur faire la morale et de leur expli­quer les choses en per­ma­nence ? “C’é­tait ce qu’il fal­lait faire, mais ça, vous le savez bien si vous n’al­lez pas dans ces ter­ribles écoles de main­te­nant”, c’est un peu la ritour­nelle qui gâche une bonne part des bou­quins. On est ici très très loin des Har­ry Pot­ter, qui évitent soi­gneu­se­ment de juger les per­sonnes et d’en appe­ler au lecteur.

Dans ces condi­tions, ce n’est sans doute pas un hasard si ce sont les deux tomes qui sortent le plus de la lignée qui m’ont le plus plu.

The horse and his boy, qui sort presque tota­le­ment de la chro­no­lo­gie nar­nianne — tout au plus Susan a‑t-elle un rôle et un âge qui nous disent que ça se passe une poi­gnée d’an­nées après The lion, the witch and the war­drobe. C’est l’his­toire de Shas­ta, enfant trou­vé qui, ven­du par son père adop­tif à un étran­ger, fuit sur le che­val de celui-ci. Ce che­val, Bree, est en fait un Nar­nian, qui rêve depuis long­temps de suivre son rêve — “Nar­nia and the North” — et retrou­ver les prai­ries de ses ancêtres. Leur route croise celle d’A­ra­vis et Hwin, res­pec­ti­ve­ment jeune fille calor­mene et jument narnianne.

Toute l’his­toire repose, outre un rythme soi­gné et des aven­tures hale­tantes, sur l’é­vo­lu­tion des per­son­nages. Bree, qui a déve­lop­pé un com­plexe de supé­rio­ri­té à force d’être le seul che­val par­lant, va apprendre peu à peu à fer­mer sa grande gueule ; Ara­vis, fière et auto­ri­taire, s’a­dou­cit et finit par pen­ser à quel­qu’un d’autre qu’elle-même de temps en temps. Au final, Ara­vis vole fran­che­ment la vedette à Shas­ta, qui au fait est héri­tier du trône Nar­nian, et c’est elle qui me vient immé­dia­te­ment à l’es­prit pour contre­dire ceux qui trouvent que The chro­nicles of Nar­nia est une œuvre miso­gyne — avec, bien sûr, Jill et Susan, qui se révèlent impla­cables dans la bataille et sym­pa­thiques en-dehors.

L’autre tome qui m’a plu, c’est The voyage of the Dawn Trea­der, qui ne se déroule pas à Nar­nia mais sur la mer à l’Est. Là encore, c’est l’é­vo­lu­tion d’Eus­tace qui qui est plai­sante à suivre : enfant capri­cieux et égoïste, à la limite de l’au­tisme, il finit par s’ou­vrir à autre chose — et apprend de la manière forte en se fai­sant trans­for­mer en dra­gon, expé­rience qui n’a rien d’a­gréable, et qui amu­se­ra beau­coup le lec­teur. L’at­tri­bu­tion de son carac­tère de merde à une école expé­ri­men­tale qui a oublié les coups de canne sur les doigts est en revanche assez énervante.

Pour le reste, on est un peu trop ce qu’on naît. C’est valable pour la plu­part des per­son­nages, qui reprennent à l’i­den­tique qua­li­tés et défauts de leurs parents. Du coup, la nar­ra­tion est géné­ra­le­ment cen­trée sur les évé­ne­ments, un reproche qui fera sou­rire cer­tains dans ma bouche mais si, si, je suis d’ac­cord avec vous, c’est pas bien même quand c’est moi qui écris.

Reste une série de bou­quins assez sym­pas, dans l’en­semble plu­tôt amu­sants, à l’hu­mour par­fois presque fin, sou­vent un peu simple mais fonc­tion­nel, et bour­rés d’ac­tion. Et le monde de Nar­nia est suf­fi­sam­ment ori­gi­nal pour que les quelques défauts passent sans problème.

Dans l’ordre chronologique :

The magi­cian’s nephew, 1955, **

The lion, the witch and the war­drobe, 1950, ***

The horse and his boy, 1954, ****

Prince Cas­pian, 1951, ***

The voyage of the Dawn Trea­der, 1952, ****

The sil­ver chair, 1953, ***

The last bat­tle, 1956, **