La baie de la honte

de Louie Psihoyos, 2009, *

Richard O’Barry a pas­sé dix ans de sa vie à cap­tu­rer et dres­ser des dau­phins. Il est notam­ment le dres­seur des femelles qui ont tour­né dans la série Flipper. Puis, for­tune faite, il eut l’illu­mi­na­tion : les dau­phins sont nos amis, ce sont des ani­maux sen­sibles et intel­li­gents, il faut les pro­té­ger tout ça tout ça. Et comme les pêche­ries de Taiji (太地, pré­fec­ture de Wakayama) chassent mas­si­ve­ment le dau­phin pour les del­phi­na­riums et l’a­li­men­ta­tion (la viande des petits odon­to­cètes, non pro­té­gés par les conven­tions inter­na­tio­nales au contraire de leurs grands cou­sins et des mys­ti­cètes, est pri­sée par cer­tains), il a déci­dé de par­tir en guerre contre la ville en média­ti­sant cette pra­tique : il compte sur l’in­di­gna­tion inter­na­tio­nale pour faire stop­per la chasse au dau­phin à Taiji.

On le com­prend vite, le film fera dans la para­noïa façon « tout le monde nous en veut, on n’est pas les bien­ve­nus ici » (ce qui est pro­bable, mais inutile d’en rajou­ter), dans l’é­mo­tion facile style « Suzi s’est sui­ci­dée à cause de moi » et dans l’ad­mi­ra­tif béat sauce « le sonar des dau­phins est meilleur que celui des sous-marins« ¹.

Le pro­blème, en gros, c’est qu’il ne fait que dans cela. Alors certes, la pré­pa­ra­tion façon com­man­do pour l’ins­tal­la­tion des camé­ras et des enre­gis­treurs est inté­res­sante, mais ces vingt minutes de film de guerre sont-elles impor­tantes dans un docu­men­taire émol­lient sur des ani­maux qu’ils sont si mignons et si intel­li­gents et si gen­tils et faut vrai­ment être une ordure pour jus­ti­fier qu’on les mange ?

Personnellement, ce qui me gêne dans la chasse au dau­phin, c’est qu’on la jus­ti­fie comme chez nous on défend la chasse au cor­mo­ran ou au loup : « cette salo­pe­rie de bes­tiole est une concur­rence ali­men­taire qui bouffe notre nour­ri­ture à nous que Dieu nous a don­née ». Or, il s’a­git là d’un ren­ver­se­ment des rôles monu­men­tal : jus­qu’à preuve du contraire, c’est l’hu­ma­ni­té qui réclame depuis peu une part de nour­ri­ture qui ne lui revient pas. Pas l’inverse.

On éli­mine une espèce conser­vant un équi­libre démo­gra­phique depuis quelques cen­taines de mil­liers d’an­nées au pro­fit d’une espèce pro­li­fé­rante, autre­ment dit l’exact contraire de ce que dicte la rai­son — laquelle conseille­rait de dis­tri­buer des capotes et des pilules plu­tôt que d’es­sayer d’aug­men­ter le ren­de­ment de la pêche et de l’a­gri­cul­ture. Mais ça, The cove (titre ori­gi­nal, net­te­ment moins cucul que le titre fran­çais) passe soi­gneu­se­ment à côté.


¹ Les dau­phins ont certes un sonar extrê­me­ment per­for­mant, de même d’ailleurs que les chauves-sou­ris pour les­quelles je n’ai jamais vu de vibrant plai­doyer au ciné­ma, mais pas meilleur que celui des sous-marins, de même que nos yeux ne sont pas meilleurs qu’un APN récent : nos yeux comme leurs sonars pro­duisent un signal assez pour­ri, trai­té par le meilleur ordi­na­teur exis­tant pour en reti­rer une infor­ma­tion opti­mi­sée pour une tâche pré­cise. Les maté­riels tech­niques four­nissent un bien meilleur signal, propre à de plus amples appli­ca­tions, et c’est le trai­te­ment der­rière qui fait que c’est pas si mer­veilleux au bout.