Le Bak­ka­flugvöl­lur, pour ceux qui l’i­gnorent, est un aéro­drome du sud du pays, d’où partent notam­ment des liai­sons régu­lières vers les îles Vestmann.

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Celui-là, outre sa bonne bouille, a un joli nom : c’est un Bud­dy Baby Great Lakes, biplan biplace de construc­tion ama­teur de 500 kg à sec. Au pas­sage, quand on rentre une imma­tri­cu­la­tion islan­daise (TF-xxx) dans Google, on se retrouve très vite sur le site de l’ad­mi­nis­tra­tion aérienne du pays, qui liste tous les avions enre­gis­trés chez elle. Qu’est-ce qu’on aime­rait tom­ber aus­si faci­le­ment sur les listes d’a­vions de chez nous…

L’ob­jec­tif, pour nous, c’est de voir s’il est pos­sible de louer un avion pour obser­ver le vol­can de près. Le seul à pou­voir empor­ter un pilote plus deux pas­sa­gers est celui de la Flug­fé­lag Vest­man­naey­ja, qui fait la navette jus­qu’à Vest­man­naey­jar. Le pilote explique qu’il a trois rota­tions à faire pour rame­ner un groupe de tou­ristes et qu’il n’est pas cer­tain qu’il ait le temps de rajou­ter un vol avant la fer­me­ture du ter­rain, calée à 19h. On attend… Les pas­sa­gers arrivent… Deuxième rotation…

C’est bon, on va pou­voir embar­quer vers 18h50. Un employé de la com­pa­gnie va venir encais­ser : comme nous sommes seuls à louer un char­ter, on doit payer pour les cinq sièges vides. Total : 160 000 cou­ronnes, soit dans les 900 € en arron­dis­sant pifo­mé­tri­que­ment (je me rends compte au pas­sage que la cou­ronne a conti­nué à des­cendre : il en faut main­te­nant plus de 200 pour faire un euro).

L’a­vion est par­qué, le pilote et l’employé (pilote en for­ma­tion, acces­soi­re­ment) passent un coup sur les hublots, ils sont contents de nous voir : depuis trois jours qu’ils volent dans le coin, ils n’ont pas encore eu l’oc­ca­sion de visi­ter l’éruption.

On décolle, puis cap au nord pour contour­ner l’Ey­jaf­jöll par l’ouest. On remonte la val­lée, le copi­lote me laisse sa place pour me déga­ger la vue (mer­ci encore !).

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En remon­tant la val­lée, on approche un peu du panache, éclai­ré par un soleil cou­chant (qui met éton­nam­ment long­temps à se cou­cher, lati­tude oblige). Au sol, la glace est recou­verte d’une épaisse couche de scories.

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Contour­ne­ment du cône érup­tif. Où l’on voit qu’en fait ça fume de beau­coup plus bas : le panache est essen­tiel­le­ment fait de vapeur, la lave cou­lant sur quelques kilo­mètres pour faire fondre la glace. Le panache de cendres, que l’on devine au-des­sus de l’é­rup­tion pro­pre­ment dite, est beau­coup plus fin et noi­râtre. C’est pour­tant ce type de panache qui est le plus gênant pour un avion, et qui a valu le mois sui­vant trois semaines d’in­ter­rup­tion du tra­fic aérien sur l’Eu­rope (lors de la seconde érup­tion, un peu plus vio­lente tout de même).

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Demi-tour, approche côté éruption.

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Long sur­vol en virage à gauche, je shoote à tra­vers la vitre laté­rale du pilote… Qui, d’ailleurs, regarde les trous dans le sol et le mag­ma qui coule. Au bout de dix ou vingt secondes, je me demande s’il devrait pas jeter un œil devant de temps en temps…

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Et en fait, un coup d’œil au tableau de bord me ras­sure rapi­de­ment : mal­gré les tur­bu­lences, le vario est calé sur zéro, la bille est en plein centre, et à 4450 pieds on ne risque guère d’emplafonner les mon­tagnes du coin — l’Ey­jaföll est quelques mètres plus haut, mais dans notre dos, le Kat­la est bien plus loin et les petits pics entre sont bien plus bas. Mon voi­sin pilote “aux fesses” sans regar­der devant lui, mais l’a­vion est stable. Et dans un grand huit pareil, je lui tire men­ta­le­ment mon chapeau.

Petit détail : pour sta­bi­li­ser l’ap­pa­reil en virage, il a très légè­re­ment réduit les gaz sur le moteur gauche. Du grand art.

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Troi­sième pas­sage, et peut-être la meilleure pho­to du lot : les reflets du soleil sur la cas­se­role et le capot répondent aux cailloux liquides qui giclent, bien iso­lés dans les sco­ries, et la fumée se mêle à la neige de l’arrière-plan.

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Enfin, la plus expli­cite, prise juste après la pré­cé­dente. La ligne de mag­ma fait envi­ron un kilo­mètre de long.

Deux secondes plus tard, on prend une averse de grêle — ah non, en fait, on a juste tra­ver­sé le panache. Ça tape sur la tôle, mais on a les pho­tos qu’il faut. Cap au sud, on va sur­vo­ler les Vestmann.

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Juste avant de par­tir de là, ma mère, à qui j’ai prê­té le FT2 (son F100fd est en panne sèche), pho­to­gra­phie un volet, bra­qué pour limi­ter la vitesse de sur­vol du vol­can. D’ha­bi­tude, c’est moi qui shoote des mor­ceaux d’a­vions, donc je lui pique cette image. ^^

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Plon­gée sur les îles Vest­mann, le soleil traîne encore mais plus pour longtemps…

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Le der­nier caillou de l’ar­chi­pel, Surt­sey, appa­rue en 1963 un peu à l’é­cart de ses frères. Ter­rain pas­sion­nant pour les bio­lo­gistes, qui étu­dient l’ap­pa­ri­tion de la vie sur ce bout de rocher cra­mé, et les géo­logues, qui y sur­veillent le com­pac­tage du caillou et l’é­ro­sion sur de la pierre à peine solidifiée.

Sur le retour, le pilote laisse les com­mandes cinq minutes à son copi­lote (qui a repris sa place après les sur­vols du cra­tère). La dif­fé­rence est évi­dente : avec l’un, on a un type qui maî­trise par­fai­te­ment son avion, qui entame un virage dans les tur­bu­lences sans que la bille bouge d’un micro­poil ; avec l’autre, un pilote nor­mal, qui envoie la bille à droite lors­qu’il pousse le manche à gauche et cor­rige le lacet inverse avec une frac­tion de seconde de retard. Rien de méchant, juste la confir­ma­tion que le pre­mier connaît son Chief­tain sur le bout des doigts et que c’est pas don­né à tout le monde.

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Enfin, der­nier sur­vol du ter­rain de Vest­man­naey­jar, on reprend au nord et on rejoint la métropole.

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Finale à Bak­ka, tou­cher à 19 h 56 — soit une heure de vol à quelques secondes près.

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Coup d’œil à l’a­vion. Grosses pous­sières gluantes sur le nez, pour une tra­ver­sée de trois secondes d’un nuage de pous­sières. Ima­gi­nez la même chose pen­dant quelques heures sur les aubes de réac­teur d’un Jum­bo… Mouais, c’é­tait peut-être pas top pra­tique (encore que trois semaines sans patron parce qu’il est coin­cé au Japon, ça se gère ^^), mais ils ont quand même plu­tôt bien fait de cal­mer les vols, à mon humble avis.

Au pas­sage, c’est à ce moment-là que le pilote nous dit qu’une fois pré­cé­dente où il avait tra­ver­sé un nuage de sco­ries, le pare-brise avait pas aimé le choc et s’é­tait fen­du, entraî­nant un retour urgent au terrain…

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Il est temps de par­tir. Le Chief­tain n’est pas le plus beau des­sin de Piper (y com­pris par rap­port à ses cou­sins Nava­jo et Cheyenne, eux-mêmes assez moches par rap­port à un Semi­nole ou un Apache…), mais il rend quand même pas trop mal sous cer­tains angles.

Retour au gîte. Deux Fran­çais qui cher­chaient un loge­ment pour la nuit ont appe­lé Nicole et pas­se­ront la nuit dans la mez­za­nine : Pierre-Yves et Agathe, que nous avions vus la veille au musée de Skó­gar. Déci­dé­ment, l’Is­lande est petite…

Vers onze heures, ma mère reçoit un SMS de Myriam : aurore en cours. Tout le monde dehors, une lueur verte plane dans le ciel, à peine visible à l’œil nu…

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…mais évi­dente avec trente secondes de pose et un post-trai­te­ment un peu soi­gné. J’ai pas de pied, le toit de la Swift fera l’af­faire. En plus, son gris métal­li­sé reflète bien le ciel…

Pierre-Yves galère un peu avec son FZ7 (très bon bridge en son temps), je lui sug­gère de pas­ser en mode M avec la pose la plus longue pos­sible pour cap­tu­rer un max de lumière et de sur­tout pas mon­ter en sen­si­bi­li­té, on passe un moment à tri­po­ter nos appareils.

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Donc, à l’ouest, y’a des gaz ioni­sés qui des­cendent, et au sud-est y’a encore de la vapeur qui monte. Trente secondes tou­jours, l’é­qui­libre entre la lumière qui filtre du gîte et le reflet de l’é­rup­tion sur les nuages est pas trop mauvais.

Suite : le plat pays