Affiches

Entre chez moi et la boulan­gerie, juste devant la laver­ie, il y a une dizaine de pan­neaux d’af­fichage pour la prochaine élec­tion prési­den­tielle. J’ai pas pu m’empêcher d’y jeter un œil, et je me suis fait quelques réflex­ions sur les affich­es offi­cielles de la cam­pagne. Je vous les mets dans l’or­dre de leur présen­ta­tion, résul­tat d’un tirage au sort officiel.

1_jolyEva Joly a une affiche, com­ment dire… Le gros plan sur la tête, franche­ment, on s’en serait passé : c’est cen­sé faire grand-mère bien­veil­lante, ça fait vieille molle.

L’ef­fet est ren­for­cé par le vignettage (sans doute des­tiné à inté­gr­er les par­ties écrites mais qui ren­voie l’im­age quelques décen­nies en arrière) et la dom­i­nante chaude qui fait film vieil­li, tan­dis que la main qui sou­tien la pom­mette donne l’im­pres­sion qu’elle arrive pas à tenir sa tête toute seule. Quant aux lunettes, out­re leur couleur igno­ble cen­sée rap­pel­er l’é­colo­gie, leur posi­tion­nement “à la Piv­ot” donne tout de suite une image d’intello.

Bref, Joly, c’est pas une prési­dente, c’est une petite vieille qui nous lit les Les his­toires du père Cas­tor au coin du feu. Certes, ça adoucit son image, mais je suis pas con­va­in­cu que ça soit dans le bon sens.

2_le_penChange­ment de topo avec Marine le Pen. Por­trait frontal, demi-sourire aux lèvres mais absol­u­ment pas aux yeux, atti­tude penchée en avant : Marine vous voit, vous regarde, vous sur­veille. Un vrai côté Big Broth­er, inquisi­teur et franche­ment inquié­tant, genre “je te vois, toi”, et son ric­tus sat­is­fait fait presque encore plus peur.

Les typographes noteront l’ac­cord dis­cutable entre un slo­gan à empat­te­ment, en minus­cules et aéré, et un nom sans serif, gras et en cap­i­tales com­pactes. Le pre­mier donne un air vieil­lot, un peu con­ser­va­teur, le sec­ond est mas­sif, bru­tal, presque poing-dans-ta-gueule. Le mes­sage est clair : toi qui aimes ten­drement la vieille France, vote pour le pit-bull.

3_sarkozyNico­las Sarkozy ne se laisse pas impres­sion­ner par les détourne­ments : il a gardé son affiche précé­dente, déjà sujette à une inter­minable liste de moqueries.

L’im­age est évidem­ment celle du cap­i­taine au long cours, qui mène son navire à bon port… sur une mer d’huile et sans un nuage. Il ignore résol­u­ment la crise, en somme. D’ailleurs, il a gardé son costard avec cra­vate bien ser­rée (et un nœud symétrique, genre Wind­sor, sym­bole du con­ser­vatisme), ce qui n’est pas la tenue d’un type qui gère l’ur­gence en mouil­lant le maillot.

La col­orimétrie est chaude, mais terne, ce qui peut être le symp­tôme d’un proche évanouisse­ment. Et s’il est tourné vers l’avenir (espace à droite, dans la lec­ture européenne), celui-ci est vide et plat.

4_melenchonL’af­fiche de Jean-Luc Mélen­chon est intéres­sante à plus d’un titre. D’abord, c’est la seule à avoir adop­té un for­mat paysage, tra­di­tion­nelle­ment con­sid­éré comme plus calme et moins per­cu­tant. Ensuite, elle reprend de manière évi­dente les codes des affich­es de pro­pa­gande com­mu­niste : il regarde en haut à droite, vers un avenir radieux, c’est la lutte finale tout ça tout ça. Staline n’au­rait pas fait mieux

Le slo­gan met en avant la notion de “pren­dre”, ce qui est là aus­si un thème récur­rent chez les cocos, et le par­ti est plus vis­i­ble que l’homme : jusqu’au bout, la pos­ture com­mu­niste. Petit détail, le cos­tume reprend l’habit bour­geois con­ser­va­teur, mais le détourne avec un nœud légère­ment asymétrique.

Enfin, la col­orimétrie est un plus froide que chez Sarkozy (la chemise a une légère dom­i­nante bleue), sans doute pour ren­forcer le con­traste avec le fond rouge et se démar­quer de la très bleue affiche hollandaise.

5_poutouOn con­tin­ue dans le gau­cho assumé avec Philippe Poutou. Le NPA est un par­ti de slo­gans plus que d’idées : on a donc deux accroches, une en cap­i­tales grass­es, l’autre en bas-de-casse mai­gre entre guillemets anglais, ce qui est très laid. Sym­bol­ique­ment, le mot “Votez” est celui écrit le plus petit de l’af­fiche et c’est le seul qui soit grisé, comme si l’op­tion n’é­tait pas vrai­ment disponible : même au NPA, per­son­ne n’en­vis­age qu’on puisse sérieuse­ment vot­er Poutou.

La pho­to, quant à elle, et bien… Mau­vais mon­tage d’un arrière-plan verdâtre rap­pelant la manif’ du matin et d’un por­trait de carte d’i­den­tité retraité par la CCIJP¹, Poutou a peut-être l’air sym­pa mais il a donne surtout l’im­pres­sion de sor­tir d’une bar­rique de Beau­jo­lais. C’est de loin la pho­to la plus moche et la moins flat­teuse de tout cet arti­cle, et pour­tant y’a du niveau.

6_arthaudNathalie Arthaud et Lutte ouvrière n’ont, man­i­feste­ment, tou­jours pas com­pris un truc : les gens n’ai­ment pas lire debout sur un trot­toir pen­dant plus d’un quart d’heure. Même moi, con­fort­able­ment assis dans mon fau­teuil, j’ai pas eu la patience de me taper tout leur tract.

La pho­to ne rime à rien, n’a pas de mes­sage, pas de qual­ité, elle n’est même pas igno­ble­ment mau­vaise comme celle du frère enne­mi : elle est plate et banale. Arthaud ne sourit pas, ne revendique pas, n’est pas habil­lée mais ne ressem­ble pas non plus à un clo­do, bref, elle est totale­ment trans­par­ente, effacée par son programme.

L’idée pour­rait être bonne si l’élec­tion se jouait entre électeurs cul­tivés, patients et appré­ciant les dis­cours inter­minables à la Cas­tro ; mais chez les gens nor­maux, une telle affiche ne devrait jamais être mon­trée sans réserve de paracétamol.

7_cheminadeJacques Chem­i­nade a un peu le même prob­lème : lui aus­si se croit obligé de fournir sa pro­fes­sion de foi sur ses affich­es. Remar­quez, si ça peut lui faire faire des économies, c’est autant qui ne vien­dra pas à s’a­jouter à l’ar­doise qu’il nous a lais­sée en 95…

Par con­traste, la chemise bleue donne un teint rougeaud et le fond de brique ocre rend sa tête moins vis­i­ble. En prime, le por­trait est cen­tré, le regard vers la droite qua­si­ment invis­i­ble du faire des yeux qua­si-fer­més, et la liste d’élé­ments per­tur­ba­teurs est longue : menuis­erie à droite, reflets à gauche… C’est exacte­ment le genre d’im­age qu’on mon­tre aux élèves en CAP de pho­to pour leur dire de jamais le faire.

Au pas­sage, l’u­til­i­sa­tion de références à la City et à Wall Street met en évi­dence les orig­ines anglo-sax­onnes du mou­ve­ment et l’in­ca­pac­ité de Chem­i­nade à par­ler aux Français. Je sais, je suis méchant, mais c’est plus fort que moi : je sup­porte pas ce crétin et je me remets pas de sa présence aux élections.

8_bayrouFrançois Bay­rou joue claire­ment la prox­im­ité : le cadrage est ser­ré sans être agres­sif, l’homme est expres­sif, jovial et chaleureux (ce qui d’abord nous change du Bay­rou habituel, ensuite est large­ment mieux que les autres austères coincés), le slo­gan est écrit dans une fonte “man­u­scrite” qui per­son­nalise l’ac­croche et met l’ac­cent sur l’u­nion, thème récur­rent chez les cen­tristes depuis des lustres.

La pho­to est un peu gran­uleuse, mais pas vieil­lotte pour autant, assor­tie à un bon­homme qui com­mence à avoir de la bouteille mais reste dynamique (cra­vate asymétrique, tenue classe et décon­trac­tée), la com­po­si­tion laisse de l’e­space vers l’avenir et l’ar­rière-plan est flou naturelle­ment, sans détourage trop brutal.

Glob­ale­ment, c’est une très bonne affiche pour quelqu’un veut rassem­bler dans la décon­trac­tion, et c’est la pre­mière sur laque­lle je n’ai pas vrai­ment de méchanceté à dire. Même son petit côté “homme d’af­faires branché” passe encore rel­a­tive­ment bien, et il se la joue presque à la Richard Gere ou George Clooney.

9_dupont-aignanNico­las Dupont-Aig­nan ne nous fait pas une affiche, mais la “une” d’un mag­a­zine à son nom. Le titre en ban­deau, l’ac­croche sur la veste, la pho­to frontale, tout y est : c’est un pan­neau à sa gloire.

On sent aus­si une volon­té d’être inat­taquable, sérieux jusqu’au bout et sans faib­lesse — il a retiré ses lunettes, au pas­sage. Dupont-Aig­nan ne sourit pas ; d’ailleurs, si l’on détaille ses rides, on com­prend que ça ne fait pas par­tie de ses habi­tudes et qu’il passe plus de temps les sour­cils fron­cés que les com­mis­sure étirées. Il n’a claire­ment pas l’air sym­pa, et sans être aus­si frontal en envahissant que Le Pen, il a le regard droit et scru­ta­teur : lui aus­si, il sur­veille ce que vous faites.

Notons que c’est le seul can­di­dat dont je n’ai pas trou­vé de fichi­er de l’af­fiche offi­cielle ; il s’ag­it donc d’une pho­to de l’af­fiche, pub­liée par le Nou­v­el obser­va­teur et prise par Daniel Fouray pour Ouest-France.

10_hollandeEnfin, François Hol­lande pro­pose l’af­fiche la plus molle de la cam­pagne. Le fond est cen­sé être cor­rézien, le mon­tage est plat, le regard est frontal mais dépourvu d’a­gres­siv­ité, de curiosité, de sym­pa­thie ou de toute forme d’expression.

Petite spé­ci­ficité tout de même : Hol­lande est le seul tourné vers la gauche. Rap­pelons que du fait de notre écri­t­ure, nous avons ten­dance à lire une image de la gauche vers la droite ; ici, la pos­ture donne l’a­van­tage que la diag­o­nale de la chemise attire l’œil vers le vis­age, mais l’in­con­vénient dra­ma­tique que Hol­lande se tourne vers le passé. Ce n’est pas une vision d’avenir qui est pro­posée là ; Hol­lande est plan­té dans le passé, et la plat­i­tude de l’ensem­ble ne donne pas l’im­pres­sion que ça puisse chang­er — d’ailleurs, le change­ment tant van­té, il est finale­ment masqué sur l’af­fiche : plus mai­gre que le “c’est main­tenant”, il est plan­qué au milieu des écritures.

Dans l’ensem­ble, c’est donc Bay­rou qui a l’af­fiche la plus effi­cace : c’est une vraie pho­to, où il a l’air sym­pa­thique et rassem­bleur, et d’où ressor­tent tout à la fois expéri­ence et dynamisme. On pour­ra dire que c’est assez pré­cisé­ment le con­traire du Bay­rou habituel, certes ; mais pho­tographique­ment, ça marche.

Hol­lande et Sarkozy font dans le con­sen­suel mou, ce qui est fort dom­mage quand on pré­tend être le héros qui, con­tre tous, a sauvé la France de la crise ou l’homme prov­i­den­tiel qui vien­dra la sauver du petit excité. Ce sont en tout cas les deux qui man­i­fes­tent l’ab­sence d’avenir : l’un le voit plat, l’autre ne le voit pas. Dupont-Aig­nan a le même soucis, mais est plus envahissant, plus scru­ta­teur et donc plus inquiétant.

Joly pour­suit la cam­pagne de “sym­pa­thi­sa­tion” entamée il y a quelques mois, ten­tant de cass­er son image de psy­cho­rigide un peu chi­ante. Mais elle va trop loin, et ce côté grand-mère gra­bataire ne donne pas envie de marcher dans ses pas.

Mélen­chon est sovié­tique et tient à le faire savoir, et quiconque a déjà appris à décoder une affiche de pro­pa­gande a froid dans le dos en voy­ant celle-ci. Le Pen glace aus­si le sang, par son côté voyeur qui nous sur­veille jusque dans les chiottes (non, j’ai pas cette affiche dans mes chiottes, c’est une image).

Enfin, Chem­i­nade, Arthaud et Poutou font leurs pho­tos offi­cielles avec un iPhone pre­mière ver­sion au détour d’une ruelle. Ils ajoutent éventuelle­ment un coup de détourage à la tru­elle et affichent le résul­tat tel quel, sans même une bal­ance des blancs dans le cas de Poutou. Et ils pol­lu­ent généreuse­ment la lis­i­bil­ité de leur affiche avec des gros bouts de pro­gramme et des slo­gans sur­numéraires, comme s’il fal­lait absol­u­ment par­ler pour meubler leur pro­pre absence.

¹ Si vous com­prenez pas la vanne, cherchez un jour­nal­iste et regardez sa carte de presse, ça devrait vous éclairer…

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